Bâtiment abritant l'Agence nationale pour l'emploi,
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Covid-19 et marché de l’emploi : reconversion par nécessité

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La contraction de la demande mondiale, la perturbation dans les approvisionnements en marchandises qui rentrent dans la composition des produits finis et en biens intermédiaires, les mesures barrières et le couvre-feu qui ont suivi, ont accentué le ralentissement économique, voire l’arrêt sans précédent de nombreuses activités économiques, obligeant les entreprises à recourir au mieux, au chômage partiel, au pire à des licenciements massifs, selon « Analyse rapide des impacts socio-économiques du Covid-19 au Mali », des Nations-unie, du 10 mai 2020. Sur le terrain, le Jalon.com a rencontré des travailleurs reconvertis et de diplômés en manque de perspective.

Au Mali durement secoué par la politico-sécuritaire, depuis plusieurs années, la pandémie du coronavirus a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase du chômage. La crise de l’emploi, avec la Covid-19, est d’autant plus une réalité que les écoles et les universités se vident au moindre claquement de doigt pour un petit recrutement à l’armée ou à la police.

La rotation pour contrer le virus

A l’Agence nationale pour l’emploi ANPE, le stress suscité par la Covid-19 n’a épargné ni les activités, ni les initiatives d’intermédiation, de sensibilisation, de formation à l’endroit des demandeurs d’emploi.

Selon une responsable de l’ANPE, « la Covid-19 a véritablement impacté les emplois dans notre pays. Et pour cause. Pour offrir le minimum de services aux usagers, la direction de l’ANPE elle-même avait instauré une sorte de rotation avec deux équipes de travail. Il s’agissait de décongestionner le service en respect des mesures barrières. Si avec la réduction des cas de contamination, cette restriction a été levée, il y a deux semaines, il n’en demeure pas moins que la psychose de la pandémie demeure et affecte l’emploi et le service de l’emploi », souligne-t-elle.

Selon M. Drissa Sidibé, chef département communication, les activités de l’ANPE s’articulent autour de deux axes : la sensibilisation et la formation au bénéfice des demandeurs d’emploi (les étudiants en fin d cycle et les diplômés) et le placement. « A cause de la Covid-19, ces activités ont été sérieusement atteintes ». A titre illustratif, il souligne que l’ANPE avait à son compteur pas moins de 100 sorties en 2019 vers les écoles et les universités (pour des séances de formation et de sensibilisation) contre seulement une cinquantaine en 2020. Quant au niveau des placements, l’ANPE, au premier semestre 2019, était à 48% de ses objectifs contre seulement 27,51% au premier semestre 2020, a confié au Jalon, M. Sidibé.

Cette information est confirmée par Kadidia Samaké, une diplômée sans emploi. Elle soutient que la Covid-19 a créé une sorte de peste dans l’environnement des entreprises, dans un pays où la quête d’un premier emploi relève, depuis des décennies, du parcours du combattant. Selon elle, les offres d’emploi mises en ligne par l’ANPE ont considérablement été affectées par la Covid-19. Car les entreprises pourvoyeuses d’emplois parviennent à peine elles-mêmes à sortir la tête de l’eau.

L’APEJ se défend mieux

A l’Agence pour l’emploi des jeunes (APEJ), une autre structure étatique chargée de promouvoir l’emploi des jeunes, à travers la formation, la sensibilisation, l’appui conseil pour la création de microentreprises, on estime que les activités n’ont pas beaucoup souffert des conséquences de la Covid-19. Selon Casmir Sangala, son chargé de communication, seulement, pour les motifs d’interdiction de rassemblement, ‘’nous n’avons pas pu mener nos séances de sensibilisation publiques en milieu scolaire et universitaire, qui consistent à développer l’esprit d’initiative chez les étudiants futurs demandeurs d’emplois’’.

Par contre, la structure s’est investie dans des initiatives de soutien à la promotion de l’emploi des jeunes, nous a-t-il confié.

« C’est dans ce cadre que nous avons par exemple investi 150 millions de francs CFA à Mopti, dans les activités à haute intensité de main d’œuvre (HIMO) (curage des caniveaux, posage de dalle…) Aussi, 500 entreprises fragiles recensées ont été accompagnées grâce au soutien de la banque mondiale, en raison de 300 000 francs CFA par entreprise », dira-t-il.

La question d’emploi est si cruciale aujourd’hui qu’il n’est pas rare de retrouver d’ex-employés d’hôtels sur des chantiers de BTP.

Chômage accentué

« Je suis détenteur d’une maitrise, j’ai été cuisinier dans un hôtel de la place. Depuis quelque temps, je fais la navette entre une école privée où je donne des cours et des chantiers BTP, dans le but de subvenir aux besoins de ma famille », nous confie Issa Konaté.

Une image de MSF d’un atelier de couture de masques sur place, une initiative pour donner du souffle à des acteurs locaux

« Analyse rapide des impacts socio-économiques de la COVID-19 au Mali » des Nations-unie, du 10 mai 2020, souligne que cette pandémie est à l’origine de nombreuses difficultés accentuant le chômage et la pauvreté au Mali. En effet, au Mali, pays d’émigration par excellence, les transferts des fonds de migrants ont non seulement été impacté négativement, mais également l’approvisionnement en marchandises qui rentrent dans la composition des produits finis et en biens intermédiaires. Pire, les mesures barrières et le couvre-feu qui ont suivi, ont accentué le ralentissement économique, voire l’arrêt sans précédent de nombreuses activités économiques obligeant les entreprises à recourir au mieux à du chômage partiel et au pire à des licenciements massifs, indique le document.

L’étude met également l’accent sur la multiplication du chômage technique et les pertes massives d’emplois dans les activités économiques et dans les couches sociales les plus affectées.

Les résultats d’une enquête préliminaire commanditée par le Conseil national du patronat du Mali (CNPM), que le Jalon a pu consulter, font ressortir une augmentation brutale des pertes d’emplois, en particulier dans les secteurs tertiaire et secondaire. Sur environ 200 entreprises/groupements interrogés dans les services assurance-banque, hôtellerie-tourisme-billetterie-restauration, industrie de transformation, énergie/distribution, le CNPM a reporté une perte de 4 296 emplois sur 8 476 enregistrés, soit à peu près 50%. Les pertes de chiffre d’affaires subies sont évaluées pour l’instant à 21%, selon le document. En milieu urbain, les emplois sont essentiellement dans le tertiaire et le secondaire : par exemple 84,7% à Bamako (EMOP, INSTAT, mars 2020, tableau II-4). Ils sont en outre concentrés à 43,1% dans les entreprises individuelles (sans doute informelles pour la plupart) et à 31,7% dans les entreprises de 3 à 10 salariés.  

« Les activités concernées, dominées par le secteur informel, les toutes petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), sont les plus directement affectées », conclu le document. Toute chose qui annonce, une accentuation de la pauvreté, dans  les jours et mois à venir.

Sale temps pour les activités nocturnes

Il ressort de constat d’expert proche du patronat malien que l’impact du couvre-feu a été immédiat sur les activités nocturnes dans lesquelles de nombreux emplois sont rémunérés à la nuit ou à la semaine : les agents de sécurité et le personnel de service dans les bars, boîtes de nuit et restaurants. Aussi, la complémentarité avec d’autres activités de jour fera-t-elle que l’effet négatif sera de grande ampleur.

Selon une responsable du CNPM, « l’arrêt d’activités dans les boîtes de nuit/hôtels/restaurants a impacté directement les activités de jour dans le secteur des brasseries et des sociétés de nettoyage qui emploient principalement les femmes».

Ce constat est confirmé par deux restauratrices rencontrées dans un quartier de Bamako. Les deux dames,  qui remercient le bon dieu pour une reprise progressive de certaines activités dans leur hôtel, tel le volet restauration, avouent avoir connu des moments de traversée de désert.

Si de nos jours, notre chance peut résider dans un secteur primaire moins affecté, il faut encore prier pour une pluviométrie favorable, dans un secteur largement dépendant encore des aléas du climat.

« Cet article est publié avec le soutien de JDH – Journalistes pour les Droits Humains et Affaires Mondiales Canada »

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