Rentrée scolaire 2021 dans un ‘’environnement protecteur dans le contexte de la pandémie Covid-19 pour tous les enfants et enseignants’’. © UNICEF.
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L’école à l’épreuve de la COVID-19 : les germes d’un déséquilibre social profond !

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La Constitution du Mali prévoit un enseignement obligatoire à tous les enfants sans discrimination aucune. Cette politique d’éducation inclusive et équitable reste un droit fondamental protégé par la Convention relative aux droits de l’enfant. Avec la démographie galopante, l’Etat n’ayant plus les moyens de cet enseignement de masse et de qualité, s’est fait accompagner par des privés, mais avec des cahiers de charge bien précis. Ce qui a entrainé la prolifération d’écoles privées à tous les niveaux (préscolaire, fondamental, secondaire et supérieur). Toutefois, ces deux années de pandémie de Covid-19 ont mis à rude épreuve les programmes scolaires qui sont exécutés désormais en fonction des capacités et même du bon vouloir des établissements.

Depuis 1960, le Mali a opté pour l’enseignement de masse et de qualité. La loi du 12 janvier 1992 promulguée par décret N°92-073 P-CTSP du 25 février 1992, dans son article 18, stipule : « Tout citoyen a droit à l’instruction. L’enseignement public est obligatoire, gratuit et laïc. L’enseignement privé est reconnu et s’exerce dans les conditions définies par la loi ». Depuis deux ans, la pandémie du coronavirus a bouleversé les habitudes, même si le retour à l’école, le 25 janvier dernier, était placé sous la thématique d’un ‘’environnement protecteur dans le contexte de la pandémie Covid-19 pour tous les enfants et enseignants’’.

A cette occasion, le ministre de l’Education nationale, le Pr Doulaye Konaté, soulignait qu’« Au moment où les élèves vont reprendre le chemin de l’école, tout doit être mis en œuvre pour respecter et faire respecter les mesures barrières dans tous les établissements scolaires afin d’assurer aux enfants un environnement sécurisé ».

Depuis, en plus des traditionnels maux qui la minent (insuffisance d’infrastructures, d’enseignants qualifiés, pléthore), notre école se trouve à la croisée des chemins : le risque de propagation à large échelle de la maladie à Coronavirus par le non-respect des mesures barrières et la dégradation de la qualité de l’enseignement dispensé avec son lot de stigmatisation entre élèves du privé et ceux du public.

A travers ces lignes, il ne s’agit pas de soulever un quelconque grief contre la privatisation de notre école, mais les écarts de traitement réservé par l’Etat à ces deux enseignements.

Du respect des mesures barrières

Malgré la promesse des autorités de respecter et de faire respecter les mesures barrières sanitaires (un mètre de distance entre les élèves dans les classes, le port du masque et le lavage des mains au savon) peu d’écoles sont en phase avec ces réalités. La menace sanitaire est grande dans les établissements scolaires publics aussi bien que privés.

«En dépit des statistiques relativement élevées des cas de Covid-19, ces derniers temps, on travaille dans les établissements scolaires comme si de rien n’était. Le gouvernement dit n’avoir pas les moyens, les écoles non plus, les parents ne semblent pas suffisamment prendre conscience du danger », nous a rapporté Korotoumou Diallo, professeur d’anglais au lycée Massa Makan Diabaté de Baco-Djicoroni.

Aujourd’hui, dans la quasi-totalité des établissements publics et privés, les dispositifs de lavage de main sont passés aux oubliettes, rare sont les enfants qui portent des masques comme l’illustrent cette image prise dans un établissement de la capitale.

Comme pour confirmer ces propos, la promotrice d’un établissement secondaire de Lafiabougou nous détaille le soutien de l’Etat pour la prévention de la Covid-19 à l’école, depuis l’année dernière : « A la veille des examens de fin d’année, on est venu nous remettre des masques, uniquement pour les élèves, et la direction était obligée de payer pour les enseignants et le reste du personnel. Pire, on nous a obligé de diviser nos effectifs dans les classes, pour le respect des mesures barrières. Tout cela fait des coûts supplémentaires pour nous, alors que l’Etat n’a rien déboursé pour nous soutenir financièrement. Aussi, malgré que l’année ait été validée avec l’organisation des examens, certains parents d’élèves ont refusé de payer les frais scolaires, arguant qu’il n’y a pas eu régulièrement de cours pour leurs enfants, d’autres n’ont payé qu’à moitié ».

C’est la raison pour laquelle beaucoup de promoteurs attendent de pied ferme, les autorités au cas où elles évoqueraient la question de respect de mesures barrières, cette année.

« Pour la distanciation, les privés n’ont pas trop de problème parce l’Etat a d’abord fait le plein des établissements publics avant de nous évacuer le reste. Ce qui fait que nos effectifs sont squelettiques. Par contre, dans la quasi-totalité des écoles secondaires publiques, les effectifs par classe atteignent les 60 élèves. Dans ce contexte, quelle leçon, le gouvernement peut-il prétendre donner aux établissements privés où les effectifs atteignent rarement les 50 élèves par classe », s’est confié la promotrice au Jalon.com.

Qu’en est-il du contenu pédagogique ?

Depuis l’ouverture, cette année, les cours se déroulent normalement dans les écoles, aucune rupture consécutive à la pandémie de la Covid-19 n’a été observée dans les établissements scolaires, selon des témoignages concordants.

Un inspecteur de l’enseignement secondaire, qui a requis l’anonymat, a confié au Jalon que pour palier le vide de la fermeture des classes pendant la période Covid-19 en 2020, le gouvernement a initié des cours en ligne, même si des élèves et de parents se plaignaient des insuffisances de l’initiative. Mais cette année, l’inspecteur nous a révélé qu’à sa connaissance, il n’y a aucune alternative éducative consécutive à la pandémie de la Covid-19 au niveau du ministère de l’Education nationale.

« Nous sommes dépassés ! »

Ces propos sont confirmés par l’Association des promoteurs d’écoles privées agrées du Mali (AEPAM).

Selon son président Abdoul Kassoum Touré, il n’y a pas péril en la demeure. Et pour cause ? La validité d’une année scolaire se fait sur la base d’un minima et d’un maxima de semaines de cours dispensés. Si ce canevas est respecté, l’année peut être validée par les autorités.

«Sur la base de cette observation, malgré les fermetures de classes pour fait de pandémie de la Covid-19, l’année a été validée en 2019-2020. Et en 2021, depuis la reprise, il n’y a pas eu de rupture. Donc, la pandémie, jusque-là ne menace nullement en rien l’année scolaire », dira-t-il.

Cependant, peut-on occulter ces nombreuses semaines de perturbation liées à la grève des enseignants et à la fermeture  des écoles pour fait de Covid-19 ? Et pourtant, aucune stratégie de rattrapage n’a été présentée par le gouvernement à ses partenaires du privé dans ce sens.

Pour M. Touré, tout cela dépend de la rigueur et la conscience des responsables des établissements où certains font des rappels de cours aux enfants avant d’entamer le nouveau programme de l’année.

« Puisque cela engendre des coûts supplémentaires que nul n’est obligé de consentir, alors beaucoup préfèrent brûler cette étape de rappel au détriment des enfants », a-t-il déploré.

Ce qui fait que beaucoup de nos écolières et écoliers ont des difficultés, à l’image de Djélika Fané dans une classe de terminale du lycée La Bruyère à Faladiè : « A cause de la grève des enseignants et la pandémie du coronavirus, depuis deux ans, les programmes ne sont plus achevés. Pire, les établissements ne sont pas au même niveau sur le programme et pourtant, c’est les mêmes sujets qui sont donnés à tout le monde aux examens ». 

Sur un tout autre plan, si l’Etat assure le fonctionnement matériel et économique des établissements publics, tel n’est pas le cas chez les privés qui sont obligsé d’attendre les frais scolaires des parents d’élèves pour faire face à leurs dépenses.

Selon Mme Kanté Djéneba Traoré, directrice de l’école Jiguiya de Faladiè, les écoles privées font face à une équation à plusieurs inconnus, depuis deux ans : comment faire pour payer les enseignants, le loyer du local et l’entretien des lieux, alors que les parents ont du mal à s’acquitter des frais scolaires des enfants de façon régulière.

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« Nous avons à présent des arriérés de l’année dernière qui ne seront pas probablement pas payées. Rares sont les parents qui sont à jour cette année. Comment faire ? Mettre les enfants à la porte ? Continuer à s’endetter pour faire face aux dépenses ? Nous sommes dépassés!», s’est-elle lamentée.

Si plusieurs parents sont unanimes que l’Etat a beaucoup à faire pour assurer un enseignement de qualité aux enfants, malgré ses moyens l’on reconnait volontiers que les frais scolaires des établissements privés ne sont pas à la portée de la bourse de la majorité des Maliens.

« Aujourd’hui, pour que ton enfant puisse avoir un niveau acceptable, il faut non seulement l’envoyer au privé, ensuite, payer des cours à domicile pour lui. Avec les difficultés liées, à la pandémie de la Covid-19, on se cherche avec les prix de condiment, à plus forte raison de s’occuper des cours privés pour les enfants. C’est pourquoi, j’ai transféré deux de mes trois enfants du privé vers le public », nous a confié Fanta Siby, une mère de trois enfants à Badalabougou.

Si l’éducation est l’un des investissements les plus importants qu’un pays puisse faire pour son avenir, la pandémie du Coronavirus est venue compliquer l’état d’un grand malade de la société malienne, l’école, avec des risques de déséquilibres très importants.

« Cet article est publié avec le soutien de JDH - Journalistes pour les Droits Humains et Affaires Mondiales Canada ».

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