Dans un entretien accordé le 3 décembre à RFI, Moctar Ouane, Premier ministre du Mali, se voulait rassurant quant à la possible mainmise de l’armée sur les institutions du pays : « Les rôles sont bien répartis, chacun joue sa partition. Nous avons tous à cœur de nous hisser à la hauteur de la mission qui nous a été confiée. […] Il n’y a pas de difficulté particulière à signaler. » Pourtant, le chef du gouvernement est le seul civil de cet orchestre exceptionnel qui compte aussi les colonels Bah N’Daw, président de la République, et Assimi Goïta, son vice-président. Il peut donc bien jouer « sa partition », le peuple entend surtout le son de la fanfare et du tambour, musique devenue assourdissante depuis qu’elle a recouvert les violons de la démocratie : le Mali ne cesse de vivre au rythme accéléré des marches militaires qui tiennent de la virtuosité, tant les coups d’État se succèdent avec une éclatante maestria. Ainsi l’armée a-t-elle continuellement dirigé le pays depuis 1960, à deux petites exceptions près. Cette omniprésence a fait perdre aux Maliens leur citoyenneté et a renforcé la corruption, ce dont Monsieur Ouane ne semble même plus se rendre compte, lui qui prétend honorer une mission à lui donnée, alors qu’aucun Malien n’a voté pour les dirigeants en place ! (I) Comment sortir de ce chaos ? « Le bonheur par le labeur », telle est la morale que nous enseignent les dernières paroles de l’hymne national. Ajoutons-y les principes de la bonne gouvernance (II).
- Une musique militaire inaudible
Depuis son instauration en octobre dernier, la charte présente le Conseil national de la Transition comme l’organe législatif du Mali. Rendue publique le 3 décembre, la liste de ses membres confirme l’emprise de l’armée non seulement parce que ceux-ci ont été désignés par le vice-président, mais aussi parce que, à leur tête, un autre colonel, Malick Diaw, vient d’être élu. Cette situation signale une fois encore les dérives antidémocratiques des dirigeants actuels qui poursuivent la politique de tous les militaires arrivés au pouvoir par la force : laisser les officiers conduire les destinées du Mali. Pour eux, la citoyenneté n’est rien, le citoyen ne compte pas, sa voix est inutile. Il peut s’exprimer dans l’un des innombrables partis politiques dont la taille est si petite et la représentativité si négligeable qu’elle les rend inoffensifs. Car les citoyens aussi sont en partie responsables du poids considérable de l’armée : elle seule est unie ; le peuple se divise, incapable de se fédérer dans un grand mouvement politique aux idées novatrices. Au contraire, les civils les plus cupides que le pouvoir attire cèdent à la connivence et à la complicité avec les militaires. Pourquoi donc Moctar Ouane est-il si près des colonels ? Pour apprécier davantage le kaki de leur uniforme ? Pour jouir au mieux des marches militaires, des cuivres de la fanfare ou des chœurs de l’armée malienne ? Le dévoiement de la morale, on le voit, est la lie de la politique. Depuis 1968, une oligarchie civilo-militaire a pris place ; elle s’achète une conscience, de temps à autre, au gré d’une élection où seule la fraude l’emporte, bon moyen aussi de détourner les esprits du sujet, ô combien épineux, du financement public de la vie politique. Au Mali, c’est toujours la même rengaine.
- L’harmonie de la bonne gouvernance
Durant cette période transitoire, nombreux sont les universitaires, les hommes politiques et les citoyens engagés qui préfèrent protéger leur vie et se taire. Les donneurs de leçons devraient en faire autant, car les héros de la liberté disparaissent souvent le jour qui a été décidé par le spectre civilo-militaire. Ce silence est grave pour notre pays, car il le prive de pensées lumineuses qui éclaireraient plus encore le débat entre les rares opposants qui ont le courage de prendre la parole et qui apportent tant à la jeune démocratie malienne qui ne veut que grandir, loin des continuelles transitions militaires. Cependant, les Maliens sont capables de changer le disque rayé de leurs souffrances. La Constitution actuelle, à l’agonie, doit être régénérée : l’avènement d’une IVe République assurerait enfin l’État de droit, des élections générales et démocratiques rétabliraient les pleins droits des citoyens et mettraient fin à la politisation de l’armée en rendant la direction du pays aux civils. En un mot, la bonne gouvernance est la seule façon de sortir le pays des crises multiformes auxquelles il est confronté, la seule qui permette une harmonie, l’expression véritable de chaque partition.
Balla CISSÉ
Docteur en droit public ; diplômé en administration électorale et membre du Réseau Afrique Stratégie
Auteur de la thèse : Le juge, la doctrine et le contrôle des lois de révision de la Constitution, publiée dans la collection « Logiques juridiques », L’Harmattan, 2020, 302 p