Des soldats de la forc Barkhane
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Départ forcé de Barkhane du Mali : Ce qui nous a été caché !

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Ça y est : après avoir voué aux gémonies les partenaires français, dont leurs forces engagées depuis presqu’une décennie aux côtés des soldats maliens dans la lutte contre le terrorisme et le narcotrafic, la junte du Colonel Assimi Goïta a finalement contraint « les sauveurs du Mali » de janvier 2013 à quitter le territoire malien. Ce qui était un appétit de pouvoir est devenu un enjeu géostratégique dont le perdant n’est forcement pas toujours celui qu’on croit !

Dénis et contrevérités

« Quel est l’acquis que le pays a eu par la présence de la Force française Barkhane ? », s’interrogeait, ce jeudi 17 février, le Colonel Souleymane Dembélé, le patron de la Direction de l’Information et des relations publiques des armées (Dirpa). Le Directeur du service de presse de l’armée malienne réagissait, devant la presse conviée en conférence, au départ annoncé des Forces françaises de Barkhane, présentes au Mali, depuis janvier 2013, quand la France, à l’appel de Dioncounda Traoré, le Président de la Transition d’alors, était intervenue pour stopper et repousser les colonnes djihadistes qui déferlaient sur Bamako.

Certainement en écho aux slogans et propos officiels, le Colonel Dembélé n’a pu s’empêcher de dénigrer l’apport français en soulignant que malgré cette présence, « aujourd’hui, je dirai que le terrorisme a gangrené pratiquement tout le territoire malien. Ils (terroristes) sont dans la zone de Yanfolila, ils sont dans la zone de Koutiala. La semaine dernière, ce sont des terroristes qui ont été appréhendés sur la ligne frontalière Mali-Côte d’Ivoire. Je vous laisse la latitude d’apprécier et de donner une note à Barkhane. Et après quoi, on a créé Takuba. Toutes les forces européennes sont chez nous, mais ça nous a donné quoi ? ». Comme on le voit, la reconnaissance du ventre n’étouffe pas dans les casernes du Mali.

Pourtant, jusqu’au lendemain de l’annonce de la décision du Président français de retirer ses troupes du Mali, le Chef d’Etat-major général des armées du Mali n’avait de cesse souligner, dans les communiqués consécutifs aux confrontations armées contre les terroristes, la coordination entre Forces Barkhane ou Takuba et FAMAS, qui bénéficiaient de leur appui aérien efficace pour neutraliser l’ennemi. La confrontation politique a visiblement remisé cette reconnaissance au placard, qui venait parfois en contradiction des propos mêmes du Premier Ministre.

De fait, les propos du patron de la DIRPA sont une composante des éléments de langage mis en œuvre depuis plusieurs mois, quand la France a manifesté son opposition à la volonté des Colonels putschistes de s’exonérer de leur engagement à un retour rapide à l’ordre constitutionnel, en rendant le pouvoir aux civils.

A cet effet, contrevérités, voire graves accusations et noms d’oiseaux n’ont guère été économisés pour faire de la France la pestiférée de service. « La France entraîne et arme les groupes armés du nord », sous-entendu que la France appuie les terroristes, a même asséné le Premier Ministre Choguel Maïga avec une effarante suffisance, qui ajoutera plus tard, et visiblement pour davantage préciser sa pensée au cas où, que « la France pratique du terrorisme diplomatique contre notre pays !!! ».

Le précepte est d’une efficacité éprouvée : plus le mensonge est gros, davantage on y croit ! Du moins venu de ce niveau de responsabilité et au sein d’une population, réellement éprouvée par plus d’une décennie d’insécurité, de violences et d’exactions armées sanglantes, ayant durablement conduit à la rupture des cycles et des lieux de vie. Il n’était pas besoin d’être une lumière pour savoir que la trop grande déception des attentes de plus de sécurité, voire en un mot de retour à la ‘’normalité’’, dévolues en principe à l’Etat, a fait l’objet d’un transfert de la charge de la responsabilité vers les partenaires venus aider. Le propre de gouvernants médiocres, incapables de satisfaire les besoins de plus d’Etat de la population, est d’instrumentaliser les attentes en se défaussant sur d’autres. Une performance réussie par la junte et surtout par son Premier ministre, duquel le landernau sait la profonde allergie au suffrage universel, car n’ayant jamais été élu à la moindre élection depuis trente ans bien que toisant constamment le sommet.

Les propos du genre de ceux du Colonel Souleymane Dembélé, venus après ceux du Colonel Abdoulaye Maïga, de Abdoulaye Diop et de Choguel Maïga, sonnent comme un déni des apports réels, car le rôle de la France, suivie par les autres partenaires, « était d’empêcher l’effondrement du Mali et de contenir la menace terroriste… (Mais) L’État malien n’a pas su saisir les opportunités offertes par les gains tactiques militaires (…) obtenusOn attendait alors le déploiement de forces de sécurité intérieure et de personnels de l’administration ; ils ne sont jamais venus », comme le déplorait le colonel Pascal Ianni, porte-parole de Barkhane à Jeune Afrique, alors que, explique-t-il, « Le terrorisme se nourrit de désespérance sociale et politique et de l’absence d’avenir pour la jeunesse ». Ce à quoi, l’Etat malien tarde toujours à apporter la réponse, Barkhane partie ou pas.

Mensonges d’Etat ?

La multiplication à dessein des obstacles aux activités des partenaires participe donc de la surenchère populiste, mise en branle pour raffermir la mainmise des proconsuls du Camp Soundjata sur le pouvoir, dont ils se sont accaparés. La coopération entre forces nationales et celles des partenaires repose sur la liberté de mouvement, implicitement ou non, accordée à ces dernières. Les sorties intempestives, notamment relatives à la souveraineté sur le ciel malien, qui serait menacée par Barkhane, ont été d’autant plus inopportunes qu’elles reposaient sur un mensonge d’Etat éhonté, pourtant soutenu avec aplomb par le Premier ministre lui-même.  En réalité, nous apprend une source de l’aviation, déjà bien avant les événements et la généralisation de l’insécurité armée, le Mali ne gérait pas, comme nombre de pays de la sous-région, la totalité de son espace aérien. Et pour cause, les dispositions de l’aviation civile et les accords au sein de l’ASECNA faisaient que le ciel malien était en partie géré depuis la branche du Niger. Ainsi, un aéronef civil ou militaire faisant route pour le centre ou le nord, devait nécessairement aviser les techniciens au Niger pour être pris en charge depuis Mopti. Avec le recours aux forces armées partenaires d’appui à la lutte contre le terrorisme, il s’est trouvé que la France, avec Serval puis Barkhane, disposait de plus de moyens techniques voire technologiques que l’ASECNA elle-même. D’où la décision, en accord avec toutes les autorités sous régionales de l’aviation, de laisser à l’Hexagone le soin de prendre en charge la gestion du ciel nord malien. Barkhane disposait en effet de plus de capacités pour gérer en même temps plusieurs aéronefs de types et d’envergures différents, à la fois sur le plan de la sécurité des vols, à travers les couloirs et les niveaux répartis, mais aussi en termes de logistique et de renseignements.

Le Premier ministre Choguel Maïga a pourtant fait croire que le Mali était obligé de demander la permission aux français pour survoler le territoire national. La vérité est que, pour tous les acteurs en place, partenaires européens, MINUSMA et FAMAS, il s’agissait simplement d’informer au préalable les techniciens en charge de gérer l’espace aérien, pour des raisons de dispositions à prendre, quand justement dans le ciel du nord du Mali, plusieurs aéronefs pouvaient voler en même temps. « Le Mali n’a jamais eu à demander la permission à la France de faire voler ses aéronefs dans son propre espace aérien. Nous les informons juste au préalable de nos intentions car, compte tenu du contexte et des accords de coopération entre forces partenaires, nous avons laissé aux forces françaises, pour des raisons techniques et de sécurité, le soin de s’en occuper afin de minimiser les risques réels de collusion ou autres accidents du fait de la présence de plusieurs aéronefs simultanément dans un même espace réduit », nous explique ce technicien.

La Rupture au détriment du dialogue

La manipulation de cet aspect important de la coopération sécuritaire permettait en fait aux autorités transitoires du Mali de s’affranchir des obligations de transparence dans les engagements effectués avec les nouveaux amis russes. D’où des restrictions imposées, sous prétexte que les survols des sites des FAMAS avaient des fins d’espionnage. L’invitation à rediscuter les aspects de l’accord de défense, maladroitement sollicitée par le Ministre Abdoulaye Diop des affaires étrangères, constituait donc une opportunité d’instrumentalisation, pour la consommation interne, d’autant plus qu’en réalité, les proconsuls de Kati ont choisi l’option de la rupture privilégiée à l’indispensable dialogue de redéfinition des priorités. Un sujet d’ailleurs  vite abandonné pour l’heure, digne de l’usage de marottes plutôt opportunistes !

Ce qui est aujourd’hui présenté, par le biais de l’instrumentalisation et du populisme par la junte, comme un enjeu de haute politique de souveraineté, n’est en réalité qu’un enjeu de principe pour les partenaires : l’impossible coexistence dans le partenariat entre les normes éprouvées de gouvernance, légitimée par le peuple, et l’adoption de postures exonérées de règles fondant et régissant les droits. Comme l’a souligné un observateur : les entités comme Wagner se nourrissent et s’épanouissent grâce à la violence armée dont la propagation et la persistance justifient leur permanence ; la fin de la violence armée et de l’insécurité conduira inévitablement à celle de leur fonds de commerce.

Les proconsuls, qui multiplient les contacts avec les narcoterroristes, viennent certainement de trouver un point d’accord avec eux : Iyad Ag Ghali et Amadou Kouffa exigeaient également tous les deux un retrait de Barkhane et de toutes les autres forces internationales ; la junte leur en fait la concession. Mais ceci est un autre débat !