Soumaila Alfousseyni Dicko, 37 ans, reconnu coupable du meurtre de sa femme en 2015, a été condamné, ce mercredi 28 novembre, à dix ans de réclusion par les jurés de la Cour d’assises de Bamako.
«C’est une tragédie. Tout a basculé en une fraction de seconde. Mais je ne sais pas comment ça s’est produit, tout ça». D’une voix à peine audible, le regard dans le vide, devant les jurés de la Cour d’assises, Soumaïla Alfousseyni Dicko a de la peine à faire le récit de son crime. Ce mercredi 28 novembre, ce trentenaire diplômé en droit international, né en Suisse, d’un père fonctionnaire international, est jugé, après plus de trois ans de détention, pour meurtre. Le 5 février 2015, entre 4 heures et 5 heures du matin, une dispute éclate entre lui et son épouse, Mariam Salif Diallo, dans leur chambre et vire au drame. L’accusé poignarde mortellement sa femme. Sur le corps de la victime, la police relève trente-sept coups de couteau. L’enfant de 17 mois du couple est le seul témoin oculaire de la tragédie. La victime était la secrétaire particulière de la ministre de la Culture, N’Diaye Ramatoulaye Diallo.
«Comment en êtes-vous arrivés là. Pour une simple dispute, vous avez ôté la vie à votre femme», s’étonne le président de la Cour.
«J’ai travaillé tard la nuit à la maison. Elle m’a demandé de venir me coucher, j’ai refusé et elle s’est fâchée. Je me souviens qu’on s’est disputé. Je lui ai donné une première gifle, puis une deuxième…», révèle Soumaïla. Un silence! L’accusé craque. De sa main droite, il retire un kleenex pour essuyer ses larmes. «Qui a poignardé Mariam?», interroge le président de la Cour. «C’est moi», admet -il. «Vous-vous souvenez du nombre de coups de couteau que vous lui avez donné», réplique un des avocats de la partie civile. Soumaïla répond par un «non». «Vous avez donné trente-sept coups de couteau à Mariam», rappelle l’avocat. «Je l’ai appris deux jours après l’acte. Mais je ne sais pas comment j’ai pu faire ça», regrette l’accusé.
Le soir où il a tué sa femme, Soumaïla reconnaît avoir bu «deux verres de Whisky». Mais l’homme affirme qu’il n’était pas «ivre» et il n’a commis l’acte sous l’emprise d’aucun excitant.
Me. Mahamane Djitteye, revient à la charge. «M. Dicko, comment le couteau s’est retrouvé dans votre chambre?». L’accusé admet qu’il n’a pas l’habitude de garder le couteau dans la chambre, mais refuse de dire pourquoi cette nuit-là il s’est retrouvé avec cette arme blanche.
Pour les deux avocats de la partie civile, l’accusé ment. «C’est un acte prémédité», plaide l’un d’eux. «Monsieur Dicko. Vous étiez dans une chambre, fermée à clé, avec votre femme gisant dans le sang et votre enfant. Comment expliquez-vous cela», insiste le second avocat de la partie civile. «Je ne sais pas comment l’expliquer. Mais j’avais une bonne épouse. J’aimais beaucoup Mariam», répond-t-il.
Mystère entier sur le mobile du crime
Après plus de deux heures de débats, jurés et avocats posent et reformulent la même question: pourquoi Soumaïla a tué sa femme? Peine perdue. Aucune réponse claire.
«J’ai plus de dix ans d’expérience. Mais je n’ai jamais eu un dossier aussi complexe. La difficulté de cette affaire c’est le mobile du crime. Nous ne l’avons pas!», clame, Me. Alassane Diop, l’unique avocat de la défense.
Dépassé par l’attitude de l’accusé qui refuse catégoriquement d’expliquer les motifs de son crime, le procureur lance: «M. Dicko, souffrez-vous de la maladie d’Alzheimer?» «Non» répond, l’accusé.
Il a fallu le témoignage de Cheick Tidiane, grand frère de la victime, pour que les jurés comprennent, un peu, le personnage qu’était Soumaila. «Comme n’importe quel couple, Soumaïla et Mariam avaient des problèmes dans leur foyer. Soumaïla buvait de l’alcool et même beaucoup. Et il était violent. Il a agressé Mariam à plusieurs reprises. Elle m’a envoyé certaines photos d’elle où elle a des hématomes sur le visage. Un jour, Soumaila a cassé tout chez-lui. Même le gardien de la maison ne pouvait pas y entrer. Des fois, il restait dehors plus de 24heures. On partait le chercher dans un bar», révèle le témoin.
Le soir du drame, Cheick Tidiane a été alerté par téléphone par un des jeunes frères de l’accusé.«Quand je suis arrivé, il a refusé d’ouvrir la porte. Il m’a dit de rentrer chez moi que tout allait bien et de le laisser régler ses problèmes de couple. J’ai demandé si ma sœur est là, il m’a répondu qu’elle va bien mais qu’il lui a interdit de me parler maintenant», se souvient le témoin.
«Monsieur Dicko, vous avez tenté de dissimiler votre crime?», interroge un avocat de la partie civile. «Non. Quand Tidiane a tapé à la porte j’étais paniqué. J’ai essayé de réanimer Mariam, mais elle ne réagissait plus», explique l’accusé.
«Nous avons échangé pendant au moins 45 minutes. Je lui ai demandé de me remettre l’enfant. Il m’a dit de l’attendre en bas. Qu’ils vont se changer pour me rejoindre. Mais j’ai attendu en vain. Nous avons été obligés d’appeler la police», se remémore, le témoin, Cheick Tidiane. Excédé, en présence de la police, il défonce la porte.
Désagréable surprise
«Quand j’ai défoncé la porte, il avait à sa gauche l’enfant. La mère de l’enfant au sol, dans le sang. Il y avait du sang aussi sur le lit. Soumaïla a bondi sur moi. Il a sorti un couteau et m’a menacé avec», rapporte, le témoin.
Le cœur meurtri, Cheick Tidiane témoigne que sa sœur souffrait de la violence de son mari et avait l’intention de le quitter. «Mariam m’a plusieurs fois dit qu’elle veut divorcer, mais elle est restée à cause de l’enfant. Et malgré le comportement de son mari elle avait des sentiments pour lui et espérait qu’il pourrait changer un jour », a-t-il révélé.
Plus loin, Cheick Tidiane ajoute un autre détail. Selon lui, le soir du crime, vers 20heures l’accusé aurait été contacté par une personne par téléphone.
«Il est sorti dehors pour revenir une quinzaine de minutes plus tard et a brusquement changé de comportement. Mais personne ne m’a rapporté avec certitude qu’il consomme d’autres excitants à part l’alcool», témoigne-t-il.
«Il est jeune. Il a grandi dans des conditions aisées. Il ne connait pas les difficultés de la vie et ignore ce que vaut une femme», assène le procureur, Diakaridia Issa Goïta. Cependant selon lui, l’accusé a des remords et il pourrait reprendre le droit chemin. «Lors de l’instruction, il avait chargé sa femme. Mais aujourd’hui, il a préféré lui rendre hommage», affirme-t-il.
L’avocat de la défense, Me. Alassane Diop, s’est lui excusé auprès de la famille de la victime et a plaidé une condamnation avec sursis. Selon lui, son client a été affecté par le décès de sa mère en 2013. «Président, il a déjà passé près de quatre ans en prison. Il a fini de mémoriser le coran. Et il prie régulièrement, ce qu’il n’avait jamais fait. Il regrette son acte et la société doit lui donner une seconde chance. Pensons à leur garçon de 5 ans», plaide l’avocat.
Après quatre heures de débats, le verdict tombe. Soumaïla est condamné à dix ans de réclusion et bénéficie des circonstances atténuantes.