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CEDEAO : Qui sont les putschistes ?

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Dans un entretien qu’il a accordé au journaliste Alain Foka, le capitaine Ibrahim Traoré, président de transition du Burkina Faso, a affirmé qu’il y a des putschistes parmi les dirigeants de la CEDEAO. Vrai. En effet, parmi les dirigeants de l’organisation sous-régionale, certains sont arrivés ou restés au pouvoir en transgressant les principes démocratiques.

L’entretien « sans tabou » accordé par le capitaine Ibrahim Traoré, président de la transition du Burkina Faso au journaliste Alain Foka, a été l’occasion pour le dirigeant burkinabé d’évoquer les raisons du retrait des membres de l’Alliance des Etats du Sahel (le Mali, le Burkina Faso et le Niger) de quitter la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dont ils étaient membres depuis sa création en 1975.

Lors de cette interview, des questions avaient trait aux accusations des présidents de la CEDEAO auxquelles le président Traoré a réagi en laissant entendre que certains dirigeants de l’organisation n’avaient pas de leçons de démocratique à donner aux autres.

-Alain Foka: « Monsieur le président, que répondez-vous aux responsables de la CEDEAO qui disent, ils s’en vont parce que nous on a dit qu’on ne veut pas de putschistes parmi nous ? »

-Ibrahim Traoré : « Il y a beaucoup de putschistes parmi eux. Donc, ce n’est pas une question de putschistes, c’est juste un masque ».

-Alain Foka : « Des putschistes civils ? »

-Ibrahim Traoré : « Il y a des putschistes militaires au sein de la CEDEAO qui aujourd’hui se réclament démocrates. Les civils, il y en a pire que des putschistes. Il y en a qui tuent, qui bâillonnent leurs peuples sous le silence. La CEDEAO ferme les yeux et les oreilles. Il y a plein de putschistes au sein de la CEDEAO. »

Alors, est-il exact qu’il y a des putschistes parmi les dirigeants de la CEDEAO, hormis les trois pays rassemblés dans l’Alliance des Etats du Sahel et la Guinée, qui sont tous sous sanctions de cette institution ? La réponse est oui. Voyons qui ils sont.

Faure Gnassingbé, héritier d’une dictature familiale au Togo

Le premier dirigeant encore en exercice qui a accédé au pouvoir par la force dans un pays de la CEDEAO est Faure Gnassingbé, à la tête du Togo depuis 2005. Il succède à son père Gnassingbé Eyadéma, qui a régné en dictateur pendant 38 ans.  Lorsque le père « décède brusquement d’une crise cardiaque en 2005, le cercle de ses affidés s’organise à la hâte. Tandis que l’armée prend le pouvoir, l’Assemblée nationale place Faure Gnassingbé à sa tête, modifie la Constitution afin de lui permettre d’achever le mandat de son père » rapporte France Info. Depuis, Faure se fait légitimer régulièrement par des élections contestées.

Alassane Ouattara et Macky Sall, des « démocrates » qui contournent les règles 

Arrivé au pouvoir en 2010 sur fond de conflit avec Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara avait initié une révision constitutionnelle en 2016, tout en promettant qu’il n’était pas intéressé par un troisième mandat. Pourtant, en 2020, suite à la mort de son dauphin Amadou Gon Coulibaly, le président Ouattara décide de briguer un troisième mandat, avançant l’argument que la nouvelle constitution « a remis les compteurs à zéro », comme si les deux mandats qu’il avait faits avant la nouvelle Constitution n’avaient jamais existé conformément au principe de droit ‘’ la loi n’a pas effet rétroactif’’. Cette approche est à l’antipode des valeurs démocratiques.

Fait très récent de l’actualité, le président Macky Sall du Sénégal, qui est sur le point de terminer son deuxième et dernier mandat, a décidé de repousser l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février 2024. Les députés de son camp l’ont soutenu, fixant la nouvelle date de l’élection présidentielle au 15 décembre 2024. Cette manœuvre du président sénégalais est considérée par l’opposition sénégalaise comme « un coup d’Etat qui ne dit pas son nom ». En effet, après le 25 février, Macky Sall perd la légalité dont il jouit de par son mandat.

La décision de Macky Sall de ne pas se conformer à la fin réglementaire de son dernier mandat met la CEDEAO en difficultés, puisqu’elle donne raison aux critiques des pays de l’AES qui considèrent que l’organisation sous régionale n’a pas de leçons à leur donner en termes de démocratie.

Des bons élèves de la démocratie dans la CEDEAO

Malgré l’existence des pays de la CEDEAO qui accèdent au pouvoir par la force ou tripatouillent les constitutions pour se maintenir au pouvoir, il y a aussi de bons élèves en ce qui concerne le respect des règles démocratiques. C’est le cas par exemple du Ghana, où depuis 1992, le pouvoir connait régulièrement un transfert du pouvoir démocratique entre les deux principaux partis, le Nouveau parti patriotique (NPP) et le Congrès démocratique national (NDC).

Récemment, le président George Weah du Liberia a surpris tout le monde en reconnaissant sa défaite et la victoire de son rival Joseph Boakai à l’issue de l’élection du 14 novembre 2023. Ainsi, l’ancienne star de football fait démentir le stéréotype selon lequel en Afrique « on n’organise pas des élections pour les perdre ».

La démocratie est aussi possible dans l’AES

L’idée de considérer l’AES comme un club de dictateurs contrairement à la CEDEAO qui serait un champion de la démocratie est inexacte. La vérité est que dans la CEDEAO, il y a des bons et des mauvais élèves en termes de démocratie.

Les dirigeants des pays de l’AES sont tous des militaires, mais cela ne signifie pas que ces trois pays ne peuvent pas être des démocraties. De Jerry Rawlings au Ghana à Amadou Toumani Toure au Mali, les exemples sont nombreux où des soldats ont commis des coups d’Etat qui ont eu pour effet de restaurer la démocratie. Les pays de l’AES peuvent aussi devenir des champions de la démocratie si leurs dirigeants et leurs peuples le décident.

Jean-Marie NTAHIMPERA

Le Jalon

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