Malgré les campagnes de sensibilisation, la pratique de l'excision persiste au Mali!
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Lutte contre l’excision : Les enseignements de la Charte de Kurukan-fuga !

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Au Mali, plusieurs milliers de femmes souffrent encore des conséquences néfastes de la pratique de l’excision, malgré les multiples campagnes de sensibilisation menées contre cette pratique. Les organisations de la société civile, qui se battent contre les mutilations génitales féminines semblent se buter, de nos jours, au veto des leaders religieux musulmans et aux survivances de la culture traditionnelle.

La pratique de l’excision remonte loin dans l’histoire des peuples en Afrique, selon diverses versions des légendes et mythes du terroir. Au Mali, selon de nombreuses recherches scientifiques, elle est même plus ancienne que les grands empires qui se sont succédé en Afrique de l’Ouest, dont le Ghana, le Mali, la Guinée…. Ainsi, malgré le caractère sacré et inviolable de l’être humain reconnus par les lois de ces entités politiques et administratives, l’excision a été associée à des rites initiatiques plutôt qu’à des sévices corporels avec des conséquences sanitaires et psychologiques multiples. C’est pourquoi, malgré les dispositions de la Charte du Mandé, proclamée à Kurukan fuga, une ‘’authentique déclaration universelle des droits de l’homme dès le XIIIe siècle de notre ère’’, l’excision a survécu, au Mandé comme ‘un fait social, lié à des normes de sexualité, de féminité, de reproduction, et de socialisation qui sont renforcées par celle du conformisme à l’ordre établi’’.

Au mandé, du 13e siècle, comme au Mali moderne d’aujourd’hui, il reste entendu que l’être humain est sacré et inviolable. Ainsi : « Chacun a droit à la vie et la préservation de son intégrité physique. En conséquence, toute tentation d’enlever la vie à son prochain est punie de la peine de mort », peut-on lire dans l’article 5 de la Charte de Kurukanfuga. De la même manière, dans la Constitution de février 1992 du Mali, on retrouve : « Article 1er : La personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne ; Article 2 : Tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits en devoirs. Toutes discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, la religion, le sexe, et l’opinion politique est prohibée ; Article 3 : Nul ne sera soumis à la torture, ni à des services ou traitements inhumains, cruels, dégradants ou humiliants ».

Malgré ces dispositions, les juristes et mêmes les politiques en charge de la gouvernance ont du mal à trancher une question qui a tendance à causer plus de mal que de bien dans la société, selon des professionnels de la santé. 

Une violation de l’intégrité physique ?

Au regard de la tradition, l’excision ne saurait être une violation de l’intégrité physique. Selon Ben chérif Diabaté, chef des griots de Bamako et non moins membre fondateur du Réseau des communicateurs traditionnels (RCOTRAD), au Mandé ou dans la société traditionnelle malienne, l’excision n’a jamais constituée  une atteinte à l’intégrité physique. Au contraire, elle aidait à préparer la femme pour les besoins de sa société. Dans ce contexte, l’excision était, précise-t-il, vue comme une pratique culturelle, même un art confié à une couche sociale et surveillée par des gardiens de la tradition.

« A mon avis, malgré tous les risques sanitaires décelés dans la pratique de l’excision par les spécialistes de la santé, ces temps-ci, il faut dire que l’article 5 de la Charte de Kurukan-Fuga ne visait pas directement la pratique de l’excision, puisque les gardiens de la tradition de l’époque n’y voyaient pas les dangers  que la pratique engendre aujourd’hui telle que dénoncé par les services de santé et des organisations de défense des droits de l’homme », dira Ben chérif Diabaté.

Niélé Doumbia, la soixantaine révolue, une exciseuse traditionnelle, a confié au lejalon.com ce qui a changé dans cette pratique hier et aujourd’hui. Selon elle, l’excision pratiquée dans la société traditionnelle malienne avait une valeur morale et éducative. Mieux, elle n’était pas pratiquée par n’importe qui, mais par une couche sociale bien déterminée, dont les forgerons. Ces valeurs aujourd’hui, poursuit-elle, ont tendance à disparaitre pour laisser la place à un acte qui apparait comme dégradant, risqué pour la santé et même la vie de la personne qui la subie.

« Au regard des ravages enregistrés ces temps modernes, l’excision peut être considérée, comme une violation de l’intégrité physique de la femme. Or, à l’origine, elle n’était qu’un élément culturelle qui rentrait dans le l’éducation de la jeune fille », reconnaît-elle.

Aussi, poursuit-elle, c’est le volet culturel et éducatif, qui étaient mis en avant par rapport à l’acte même de l’excision dénoncé par les défenseurs des droits de l’homme comme une violation de l’intégrité physique de la fille. Au départ, poursuit Niélé Doumbia, l’excision était pratiquée sur un groupe de filles, au sein du village qui avaient un âge avancé. Toutes étaient regroupées ensemble et internées chez une vieille femme du village, qui pendant au moins deux semaines les inculquait les valeurs qui caractérisaient une femme d’antan.

« On ne pouvait pas être une femme sans passer par cette étape dans notre société. Si l’excision peut être considérée aujourd’hui comme une violation de l’intégrité physique de la femme, au regard des dégâts qu’elle engendre aujourd’hui, telle n’était pas le cas, dans la société traditionnelle.

Aujourd’hui, c’est un véritable sévices corporel et psychologique qu’on fait subir aux bébés et aux enfants. Dans ce contexte, la pratique perd tout son intérêt de socialisation pour devenir une survivance culturelle, à mon avis », déplore-t-elle.

Selon la chercheuse Assitan Diallo, l’excision était ‘’le marqueur d’un rite collectif qui permettait à la femme d’acquérir les normes identitaires de son groupe dans un ensemble éducatif très complexe et très hiérarchisé’’.

En réalité, les MGF sont, selon elle, un fait social, lié à des normes de sexualité, de féminité, de reproduction, et de socialisation qui sont renforcées par celle du conformisme à l’ordre établi.

Toutefois, ce fait social de socialisation à tendance à devenir un véritable drame sociale, à l’origine de complications lors de l’accouchement et même source de dislocation de foyers. Comme en témoigne cette pensionnaire de 36 ans du centre Oasis de l’hôpital du Point G, Sanata Koyauté : « Je souffre de cette maladie depuis trois ans. Je l’ai eu suite à un accouchement compliqué. J’ai subi une intervention chirurgicale, mais c’était tard. L’enfant est décédé et je me suis retrouvée avec la vessie perforée. Mon mari m’a abandonné. Je n’ai plus de ses nouvelles depuis trois ans. Je n’ai pas eu mon enfant et je suis malade. Les médecins s’occupent bien de moi, mais le mal persiste jusqu’à présent».

Plus de perte que de profit !

Selon le Pr Mamadou Lamine Diakite, chef du service urologue de l’hôpital du Point G, « L’excision seule peut compliquer l’accouchement parce qu’au cours de l’excision certaines parties de l’appareil génital de la femme sont enlevées. Ces parties une fois enlevées, en cicatrisant font créer une certaine fibrose. L’accouchement se fait au dépend des muscles qui peuvent se distendre. Donc, s’il y a fibroses, ces muscles ne pourront pas se dilater, se distendre. Donc, on va voir un problème mécanique à la sortie de l’enfant. On a plus à perdre en faisant une excision qu’à ne pas le faire ». 

Selon Maimouna Dioncounda Dembélé, juriste et spécialiste des questions de genre, au Mali, le taux de prévalence de l’excision est estimé à 91 %. Et pour venir à bout de ce fléau, des jeunes sensibilisent les communautés et plaident auprès du gouvernement pour l’adoption d’une loi contre les mutilations génitales féminines. Maimouna a participé en 2017 à l’élaboration d’un avant-projet contre les violences faites aux femmes, mais elle regrette aujourd’hui la pression des leaders religieux qui ne sont pas prêts à se passer de ce fléau.

Au regard de son origine lointaine, qui lui confère des valeurs sociale et morale, l’excision, malgré ses inconvénients, devient une habitude dont notre société a du mal à s’en débarrasser.  

« Ce reportage est publié avec le soutien de JDH et FIT en partenariat avec WILDAF-Mali et la Coalition des OSC/PF ».