Le défunt, Chérif Ahmed CISSE.

In memoriam : Chérif Cissé, cet oncle si proche, si loin

9 mins de lecture

La nouvelle est tombée soudaine, au hasard de mes navigations matinales sur les réseaux sociaux le lundi 26 juillet dernier. Chérif Cissé est mort à Paris annonçait un post de Diagueli Cissé, l’un de ses neveux. Et ainsi le temps par effraction devint en un jour éternité, écourtant une vie appelée sans doute à rayonner davantage. Le diakhanké venu de Nioro du Sahel a donc achevé sa course dans la capitale française. « La mort se hâte et Dieu nous délivre un à un » dit le grand Hugo sur la tombe de Louise Julien le 26 juillet 1853. Mais « l’homme ne sait pas être mortel », dit Goethe à Hemingway. Désir d’immortalité ? Assurément non.  « Dans les conditions modernes, [écrit Hannah Arendt], il est en vérité  si invraisemblable qu’un homme aspire sérieusement à l’immortalité terrestre que l’on a probablement raison de n’y voir que de la vanité. » C’est vrai en revanche que la mort de Chérif a surpris ma religion (je ne savais rien de sa maladie) d’où l’étonnement très vite balayé par la certitude de notre finitude, loi universelle inscrite dans l’éternité :  كُ ُّ ل نفَْسٍ ذاَئِٓقةَُ ٱلْمَوْتِ ث َّ مُ إِلیَْناَ ترُْجَعوُنَ

(Toute âme goûtera la mort. Ensuite c’est vers Nous que vous serez ramenés). Sourate

29 ;Verset 57.

Dans la grisaille abidjanaise des temps pluvieux, le sort ne pouvait faire pire pour cristalliser mon flegme matinal. L’instant de surprise passé, je téléphone à Cheick Cissé Tahara Cissé, cet autre oncle, frère cadet de Chérif pour plus d’informations. Et lui de confirmer la terrible nouvelle. Dès lors, j’informe la famille à Gagnoa, j’appelle Bamako et Nioro pour présenter mes condoléances à mes oncles, tantes, grand-mères etc. Chérif est donc rentré dans le ventre de la terre, le dimanche dernier à Nioro, la terre des ancêtres, vieille terre de spiritualité, foyer incandescent de l’humanisme soudanais intemporel, Nioro, ville lumière, au nom mythique, au rayonnement international depuis les temps reculés du commerce transsaharien. 

Contrairement au reste de la famille Cissé de Diakha, je n’ai pas beaucoup interagi avec Chérif pour une raison simple. Lorsque j’arrive à Bamako en 1994, à l’âge de 24 ans en provenance de la Côte d’Ivoire, mon pays natal, il était déjà depuis cinq ans installé en France. J’ai su son existence par le biais outre de Cheick Cissé, d’Abderramane Cissé, un autre de ses frères cadets, qui avec leurs aînés Kaou, Fodé, Ba, El Hadj, Fatoumata, Tokhoré et autres m’ont permis de renouer avec l’histoire de mes origines dans une perspective généalogique plus longue. Notre seule rencontre eut lieu à Bamako où il était venu en vacances, à la fin des années 1990 ou au début des années 2000, les souvenirs s’évaporent. Il était curieux de tout savoir sur la branche ivoirienne des Cissé Makhabadjo dont j’étais un des membres. Je suis en effet l’un de la centaine de petit-fils de Cissé Mamadou né à Diakha en 1902 selon les sources d’archives coloniales, que les Nioro connaissent plutôt sous le nom de Hiya CISSÉ et qui a fait le choix au début des années 1930 de suivre Yacouba Sylla, cette grande figure hamalliste, déportée en Côte d’Ivoire en février 1930 par l’administration française. 

Nos chemins devaient se croiser cette fois à Paris, comme convenu entre nous. Chercheur résident à Nantes entre la fin de l’année 2012 et juin 2013, je devais rendre visite à cet oncle, une fois de passage à Paris. Hélas, je n’aurai pas l’occasion de tenir cette promesse, mon séjour nantais ayant été quelque peu chahuté par certains impondérables. De cette occasion manquée à cette triste nouvelle, nos échanges furent épistolaires par le biais de courriels. Le 20 septembre 2020, par exemple, il me fit parvenir les photos et les noms de nos aïeux Cissé en me demandant de l’aider afin d’en établir une généalogie précise et référencée. C’était cela aussi l’un des aspects fascinants de cet oncle si loin, si proche : l’attachement viscéral à la famille, le besoin de retisser les liens entre Nioro et Gagnoa que les vicissitudes de l’histoire ont fait se distendre naguère, la fidélité à ses origines diakhanké et à ses valeurs cardinales que cette France broyeuse de destin et d’identité n’est pas parvenue à altérer en lui. 

Car Chérif, était et l’historien peut l’attester, un authentique africain, un véritable ‘’fendeur de brousse’’ pour emprunter les éléments de langage d’Aimé Césaire à la recherche constante des fondements épistémologiques de tout ce qui fonde notre identité africaine et malienne. Comment clore cet hommage, sans témoigner de son attachement viscéral au Chérif Hamahoullah, notre maître, grande figure cardinale et séminale du XXe siècle ? Dans son dernier mail du 20 septembre 2020, il m’interrogeait ainsi : ‘’Tjrs pas de publication sur ce que tu avais trouvé dans les archives à Nantes (au sujet de C.A. Hamahoullah) ? Le temps a passé depuis’’ Oui cher oncle, le temps a passé depuis mais le projet d’ouvrage sur Cheick Hamahoullah suit son cours.

Chérif a certes rejoint les ancêtres. Mais l’exemple de vie de cet homme de belle extraction sociale, d’une seule pièce, authentique, sans artifice, témoignera à jamais pour lui malgré sa brièveté.  « Ne te fie pas à l’étendue des années (car les Dieux) voient la durée (d’une vie) en un instant. L’homme subsiste après l’abordage (à l’autre rive). Ses actions sont entassées à côté de lui » enseignait une sagesse égyptienne des temps memphites. Ce à quoi fit écho sur l’autre rive de la Méditerranée, Chilon de Sparte, l’un des sept sages de la Grèce antique en soutenant que « toute vie se juge à sa fin ». Tu peux dormir du sommeil des justes CHERIF CISSE. Tes actions parleront à jamais pour toi. Merci d’avoir contribué à maintenir à flots, l’éclat éternel du nom CISSE. A son épouse et à ses enfants, je présente mes condoléances les plus émues et je joins mes prières à celles déjà abondamment formulées, pour le repos de son âme. Dors en paix, cher oncle, si proche, si loin.  CISSE MAXABADJO.

 Cheick CISSE

 Enseignant-chercheur

Maître de Conférences en Histoire

Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan

Le Jalon

"Informer bien au lieu d'informer vite"