En 1819, la ville de Djenné fut conquise par les armées de l’Empire Peul du Macina sous le commandement d’Amirou Mangal. Après une recommandation du Conseil de Hamdallaye, l’empereur Cheikou Amadou nomma son fils, Amadou Cheikou, gouverneur de Djenné.
Djenné abrita alors une économie florissante grâce aux liens commerciaux qu’elle entretint avec Tombouctou et les pays côtiers (la Côte d’Ivoire). L’une des principales mesures sécuritaires fut la sécurisation des routes commerciales par les cavaliers du Macina, garantissant ainsi la protection de l’économie libérale, notamment le commerce.
Cependant, près d’un an après son investiture, le gouverneur Amadou Cheikou, percevant la modernité de la ville de Djenné comme étant un facteur de destruction des valeurs et traditions religieuses, chercha discrètement un moyen pour se faire destituer par son père, afin de retourner dans la ville sainte de Hamdallaye, la capitale du Macina.
Il demanda donc au stratège et conseiller politique de son père, Bouréma Khalilou, qui lui conseilla de fêter de manière somptueuse et extravagante son retour à Hamdallaye dans le cadre de la fête de Tabaski.
Vivons la description de ce retour spectaculaire par Amadou H. Bâ
« Il partit donc à la tête de 600 jeunes gens, tous de son âge : 200 Peuls montés sur des chevaux blancs, 200 JawamBe montés sur des chevaux noirs à tête et pattes blanches, 200 MaabuuBe montés sur de chevaux rougeâtres à pattes et front blancs.
Tous étaient habillés de la même façon, à la dernière mode de Djenné, les Peuls en blanc, les JawamBe en bleu foncé, les MaabuuBe en bleu. Les cavaliers étaient précédés de fantassins, vêtus de couleurs, avec une ceinture, et portant des lances. Le cortège quitta Djenné, passa par Koumaga dans le Femay, Kaka et Kouna. De ce dernier lieu à Hamdallaye, l’étape est courte. Tous les habitants de la capitale sortirent pour aller au-devant d’Amadou Cheikou dont l’arrivée était attendue le matin de bonne heure. Cheikou Amadou sortit également, mais se dissimula dans un bosquet pour voir comment les choses allaient se passer. On vit d’abord arriver les fantassins.
Comment, dirent les gens de Hamdallaye, Amadou Cheikou vient à pied ?
Nous ne sommes que l’avant-garde, expliquèrent les arrivants. Un peu plus tard, les 200 MaabuuBe se présentèrent. En voyant des cavaliers vêtus de bleu, les gens de Hamdallaye dirent : cette fois, c’est Amadou Cheikou et son escorte de Peuls. Quand ils eurent reconnu leur erreur, ils dirent : ces MaabuuBe sont vêtus d’étoffes qu’ils n’ont pas tissées eux-mêmes. Ensuite arrivèrent les 200 JawamBe. Seulement après le passage de ceux-ci, on vit venir Amadou Cheikou, escorté de 200 Peuls, tous habillés de blanc, montés sur des chevaux blancs et chantant des hymnes à la gloire de Dieu et de son Prophète. La foule les acclama. Les griots se mirent à chanter leurs louanges et lorsqu’ils rentrèrent à Hamdallaye, toutes les femmes nobles, intriguées par ce tapage insolite, regardaient par-dessus les murs de leurs concessions »
Il ne pouvait compter sur la clémence de son modeste père
Avec une mise en scène spéculaire propre aux caravaniers de l’Antiquité, mettant en lumière l’influence, le prestige social et la richesse d’Amadou Cheikou de manière ostentatoire, le cortège entra à Hamdallaye.
Sans surprise, l’empereur Cheikou Amadou rejeta la demande d’audience de son fils. C’est seulement au milieu de la nuit qu’il le fit appeler, poursuit Amadou H. Bâ.
Toujours selon le récit, « le fils, Amadou Cheikou se leva et, enveloppé d’une couverture, se présenta devant son père qui le sermonna sur sa légèreté puis le congédia en lui disant : pour aller dans l’autre monde, tu n’auras que la couverture dans laquelle tu t’enveloppes en ce moment et je te donne ma parole que tu ne retourneras pas à Djenné, quoiqu’en puisse décider le grand conseil. »
Cheikou Amadou, l’empereur du Macina, cita son fils devant le conseil et l’accusa de folles dépenses et de dissipation du bien public.
La morale de l’histoire :
Si l’avenir sort du passé, chacun de nous doit chercher à intérioriser certaines références historiques. Je ne suis pas un passéiste, encore moins un nostalgique d’un vieil empire. Par ailleurs, loin de moi une peur du présent et du futur. Néanmoins, pour paraphraser Amin Maalouf, lorsque notre temps présent n’est fait que d’échecs, de défaites, de frustrations, d’humiliations, l’on cherchera forcément, dans notre passé, des raisons de croire en nous. Cela est exactement le cas de beaucoup de Maliens en ces moments périlleux.
Dans le discours populaire et élitiste à un certain niveau, la crise politique que traverse le Mali relève d’une crise de morale. Les faillites et la déconfiture des infrastructures morales, qui tenaient jusqu’ici l’équilibre social ont conduit à un spectacle affligeant que la société tout entière présente actuellement.
Le délabrement moral a cruellement atteint la classe des dirigeants, qui semble avoir perdu malheureusement l’esprit de simplicité et de modestie qu’incarnait l’empereur Cheikou Amadou. Or, « lorsque celle-ci et celle des prêtres, ou les deux perdent cet esprit de simplicité qui fondait et animait jusqu’alors les lois et les ordres, non seulement cette perte est irrémédiable, mais l’oppression, le déshonneur et la déchéance du peuple sont alors assurés », souligne Hégel.
Document de référence : Amadou Hampaté Bâ & Jacques Daget L’empire peul du Macina (1818-1853), Paris, Les Nouvelles Editions Africaines, 1975. 306 p.
Amadou BATHILY, politologue pendant mes heures perdues, analyste de passion et co-fondateur de Sooni intelligence.