Pendant qu’une large partie des territoires du Nord et du Centre vit une situation d’insécurité permanente, le Sud du Mali traverse, depuis quelques semaines, une crise politique et institutionnelle particulièrement grave.
À la suite des élections législatives de mars et avril 2020, une coalition d’acteurs hétéroclites exige la démission du Président de la République et de son régime. Après une forte démonstration populaire, le 05 juin dernier, la coalition a pris le nom du Mouvement du 5 juin, Rassemblement des forces patriotiques, (M5-RFP).
Le M5-RFP met en cause ce que ses leaders appellent l’incapacité du Président Ibrahim Boubacar KEITA (IBK) à conduire le navire Mali, la corruption chronique de sa gouvernance, la crise de légitimité caractérisant l’Assemblée nationale, ainsi que la corruption des sages de la Cour constitutionnelle. Mais que sait-on réellement du M-5 RFP ?
Une coalition de circonstance :
A première vue, l’on observe un mouvement populaire homogène. Pourtant, c’est plus complexe que ce que l’on pourrait penser. En effet, si les acteurs semblent avoir formé une seule force convergente et un seul répertoire d’action collective contre le régime IBK, ils sont différents et pluriels selon leurs profils et la nature des organisations qui composent le M5-RFP. En ce sens, le mouvement intègre des partis politiques, des organisations religieuses et de la société civile ayant naturellement certains intérêts antagonistes. Néanmoins, les contextes politique, social et sécuritaire ont réuni des forces sociales et politiques hétéroclites dans son sein. C’est là qu’il convient d’expliquer, de mon point de vue, la facilité avec laquelle la dynamique multisectorielle particulièrement spontanée s’est constituée et non à l’aide d’une supposée convergence d’intérêts communs.
Après les épisodes de 2012, la constitution du M-5 RFP et les revendications qu’il porte nous poussent à interroger le système dit démocratique au Mali.
Qu’est-ce que cette énième crise politique révèle ?
La persistance d’une crise de gouvernance
Au Mali, le système dit démocratique fut conquis dans les rues en mars 1991 après une insurrection populaire ayant entraîné la mort de plusieurs centaines de personnes. Il faut se souvenir que les mouvements démocratiques reprochaient au régime militaire non seulement les pratiques de corruption, mais aussi l’absence d’un État de droit respectant les droits élémentaires des citoyennes et citoyens.
Deux décennies après l’instauration de notre démocratie, les crises politiques et institutionnelles persistent et laissent entrevoir le grand déphasage entre l’élite politique et administrative d’une part, et le peuple d’autre part. A quelques exceptions près, on a assisté à un renouvellement partiel des élites politiques sans l’impulsion de véritables inflexions politiques et de gouvernance.
Selon Fakoly Doumbia, dans une analyse comparative des régimes politiques au Mali, “ le peuple malien apprend à apprendre, à ses dépens, que toutes les formes de dictatures aboutissent aux mêmes résultats : arrogance du pouvoir, instrumentalisation de l’administration, confiscation des richesses nationales au profit caste, violation quotidienne des droits humains. Avec AOK et IBK, il découvre une nouvelle forme, celle qui se drape sous la couverture commode de la démocratie pour agir, prétextant, invariablement, l’impérieuse nécessité de restaurer ou de sauvegarder l’autorité de l’État. Avec Modibo Keita et GMT : il a en a connu une : celle qui ne se cache pas, parce que qu’elle est à l’image du régime ; un régime de parti unique pur et dur.”
Accepter la décadence du système pour sortir de l’instabilité politique récurrente
Si la légitimité réside dans l’expression de la volonté générale, les Maliens ne font plus confiance aux dirigeants qui les représentent. Cette crise de confiance est consubstantielle à la persistance et la survie d’un système de prédation et de corruption érigé en mode de gouvernance.
De fait, il revient aux acteurs politiques d’impulser véritablement un changement dans la conduite des affaires publiques et politiques. Cela passera nécessairement par une remise en cause de l’ensemble de la classe politique, le renouvellement du leadership, l’instauration de l’État de droit de manière intégrale et effective.
La démocratie est aussi sociale, notamment la justice sociale. Aucune société ne peut envisager la stabilité sans prendre à bras-le-corps la question de la justice sociale et de l’égalité des citoyens devant la loi. Car, “quand la morale publique s’éclipse, il se fera dans l’ordre social une ombre épouvante”
Amadou BATHILY, politologue pendant les heures perdues, analyste de passion.