« Pour être au rendez-vous de la mondialisation, il faut développer les STI (Science, Technologie et Innovation», disait la ministre de l’Innovation et de la recherche scientifique. Au Mali, les observateurs font, de plus en plus, état d’un écart important entre les hommes et les femmes dans le domaine de l’enseignement des sciences, de la technologie, l’ingénierie et les mathématiques. Comment favoriser l’émergence d’une nouvelle génération de femmes et de filles de science afin de relever les grands défis de notre époque ?
Au Mali, il ressort de plusieurs constats, une baisse de l’engouement des apprenants vers les filières scientifiques, qui sont pourtant des créneaux porteurs d’emplois. Sur cette minorité scientifique, les filles et les femmes constituent encore, ‘’une minorité’’ disait le ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, le Pr Amadou Keita, lors de la remise des prix aux lauréat de la troisième édition Miss science, le 21 octobre 2021. Pour le développement futur du Mali, il faut renverser cette pyramide, a-t-il déclaré.
Le genre et le déséquilibre de l’enseignement scientifique
Selon le Journal scientifique du Mali (JSM) du 7 septembre 2021, s’inspirant des statistiques du département de l’Education nationale, le pays est passé de 51% à 3,5% de lycéens dans les séries scientifiques. Au niveau professionnel, on remarque une disparité homme – femme et on note environ 3300 femmes professeures d’enseignement secondaire contre près de 20 000 hommes.
Ainsi, « le concours Miss science, organisé avec la participation des vingt (20) académies d’enseignement du Mali a été initié pour susciter la motivation des filles à aller vers les disciplines scientifiques et favoriser leur orientation vers des filières et carrières scientifiques », précise Sylla Fatoumata Cissé, la représentante du ministre de l’Education nationale, par ailleurs présidente du comité scientifique d’organisation dudit concours.
« Nous espérons par cette démarche, contribuer au renforcement du renouvellement du personnel scientifique de notre pays par des femmes scientifiques bien formées et prêtes à booster la science. Car le Mali dispose, d’énormes potentialités scientifiques qui ont besoin d’être exploitées pour le développement », a affirmé Sylla Fatoumata Cissé.
« Le concours Miss sciences m’a donné du courage pour m’intéresser davantage aux matières scientifiques afin de participer au développement de mon pays, le Mali, que j’aime bien », a témoigné Ina Yiribéré Coulibaly, élève en 6ème année, ancienne lauréate du concours Miss science, lors du lancement de la 3e édition.
La condition du développement
Selon M. Moussa Sidibé, coordinateur national du projet autonomisation des femmes et dividende démographique au Sahel (SWEDD), la faible participation des filles et des jeunes femmes dans les filières scientifiques découle principalement de plusieurs facteurs notamment les mentalités et les stéréotypes, les conditions socio-économiques des ménages et la qualité des apprentissages. Pourtant, elle est essentielle pour réduire la pauvreté en Afrique et dans le monde. Ainsi, le fait d’encourager les filles à s’investir dans les domaines scientifiques est une condition sine qanun pour les pays en voie de développement de tirer le meilleur part d’elles, de les autonomiser et d’améliorer les perspectives économiques. C’est pourquoi, le projet d’Autonomisation des Femmes et le Dividende démographique au Sahel (SWEDD) ambitionne l’accélération de la transition démographique et de réduire les inégalités genre en vue de créer les conditions d’exploitation du dividende démographique dans le Sahel. A cet effet, le projet, à travers le sous-projet d’appui à la scolarisation et au maintien des filles à l’école, travaille pour l’amélioration des résultats scolaires des filles, en particulier dans les filières scientifiques, à travers l’organisation de cours de soutien à toutes les filles des classes de 7e, 8e, et 9e année en mathématiques, physique-chimie et de français. Ces interventions ont permis de maintenir 25 000 filles à l’école grâce à la combinaison des interventions (bourse mamans, kits scolaires…) qui a eu pour effet une baisse drastique du taux d’abandon des filles dans les 75 écoles d’intervention de la phase1 qui est passé de 53% selon l’étude sur la situation de référence réalisée en 2016 à 2,5% en 2020 ; donner une seconde chance à 72 000 enfants déscolarisés dont plus de 4500 filles non scolarisées ou déscolarisées précoces de retrouver le chemin de l’école grâce à la stratégie de scolarisation accélérée dite passerelle ; améliorer le taux d’admission des filles au diplôme d’études fondamentales de 30% dans les zones d’activités du projet.
Des exemples de femmes scientifiques
Le parcours de Mme Traoré Seynabou Diop, ancienne ministre de l’Equipement, des Transports et du Désenclavement, première femme à occuper ce poste, une femme ingénieur des constructions civiles de l’Ecole nationale d’ingénieurs du Mali (ENI) est plein d’enseignement pour la nouvelle génération. Elle est aussi détentrice d’un diplôme universitaire de technicien supérieur en informatique au lycée radio électronique de St-Petersbourg, en Russie ; d’un diplôme universitaire de technicien supérieur, mais cette fois-ci en finances et comptabilité à l’Institut universitaire de gestion (IUG) de Bamako. Ces études plus que complémentaires ont été d’un apport inestimable pour Mme Traoré, selon ses propres témoignages. Ingénieur BTP, ‘’quand je quittais le terrain, je n’avais pas besoin de recourir à une secrétaire ou un informaticien pour mes rapports », a confié Mme au Jalon.com.
Pour celle qui a eu la chance d’être issue de parents intellectuels, « les filles doivent non seulement oser, mais se battre également. Quand j’ai été appelée au poste de ministre par feu Premier ministre Modibo Keita, je me suis dit qu’il fallait se battre pour prouver que les femmes peuvent faire ce que les hommes font, sinon mieux souvent. Nous sommes dans un monde où les hommes pensent que nous ne pouvons pas, il faut se battre pour montrer aux hommes que nous pouvons ».
Mme Gakou Salamata Fofana est ancienne ministre du Logement, des affaires foncières et de l’urbanisme sous feu président ATT, présidente de l’Association des femmes ingénieurs du Mali (AFIMA), à) travers cette organisation, a très tôt pris consciente du rôle des filles et des femmes dans les filières scientifiques. Pour cela, elle s’est déployée sur le terrain, à travers plusieurs activités et actions de soutien à la promotion des filles en sciences et technologies.
Le coup de main de l’Afima
« Depuis le premier camp d’excellence de la fondation pathfinder de Cheick Modibo Diarra, nous assistons les filles à exceller dans ces filières, à travers des monitorings, des soutiens matériels », a-t-elle confié au Jalon.com. C’est pourquoi d’ailleurs, ces femmes sont toujours présentes lors des camps d’excellences organisés par le département de l’Education nationale.
L’AFIMA aide également les femmes ingénieurs à poursuivre leur formation et à rechercher des bourses pour entreprendre un cursus de troisième cycle. Mais son objectif principal est de favoriser l’accès des filles aux filières scientifiques, notamment en les incitant à s’orienter vers des bacs scientifiques.
L’Afima est également parmi les initiateurs du Concours Miss Sciences au Mali, qui a fêté sa troisième édition ce 21 octobre 2021 au Mémorial Modibo Keita avec comme slogans : « les femmes et les filles dans les sciences et les techniques pour le développement durable » ou « Faire progresser l’égalité des genres dans les sciences et les technologies est essentiel pour bâtir un avenir meilleur » Aller les filles ! Osez les sciences.
Préoccupation partagée
Le Pr Fad Seydou, membre du Symposium malien sur les sciences appliquées (MSAS), dresse un état catastrophique des lieux. En 1998, dit-il, le Mali comptait 16 063 élèves dans les classes de Terminale. Parmi eux, 8 225 étaient dans les séries scientifiques contre 7 838 en lettre. Les statistiques récentes montrent une autre réalité. Il pense que tout doit être mise en œuvre pour encourager l’éducation des filles et leur orientation vers les filières scientifique.
«Plus une femme est instruite, mieux ses enfants vont loin dans les études. La réalité dans nos écoles, ces dernières années sur l’orientation des filles vers les filières scientifique, est plus qu’inquiétant », a-t-il martelé.
Pour la professeure Ameenah Gurib-Fakim, ancienne présidente de Maurice et lauréate du Prix L’Oréal-UNESCO 2007 pour les femmes et la science, c’est toute l’Afrique qui doit revoir sa politique éducative en matière de maitrise des sciences et la technologie. Lors d’un récent discours prononcé lors de la cinquième conférence annuelle de l’African Export-Import Bank (Afreximbank) sur « l’importance de la science, de la technologie et de l’innovation dans la transformation des économies africaines », il déplorait : « l’Afrique est loin derrière le reste du monde dans les domaines de la science, de la technologie et de l’innovation (STI). Seulement 0,1% de toutes les demandes de brevet sont enregistrées en Afrique, contre 65% en Asie et 25% en Amérique du Nord », déplorait le Pr Gurib-Fakim.