L’interruption d’une grossesse, de manière spontanée ou provoquée, doit se faire dans des conditions matérielles idoines et par un personnel qualifié. Donner la vie étant considéré comme hautement sacré ; l’interruption de la grossesse l’est également compte tenu du caractère sacré de l’embryon et de tout ce qui peut survenir après. Cela, pour éviter d’éventuelles complications qui pourraient entraîner des séquelles, voire la mort de la maman. C’est pourquoi un ensemble de soins post-avortement dictés médicalement est recommandé.
Goundokoye Soucko (prénom modifié), une jeune femme originaire de la région de Kayes, témoigne que dans leur quartier, Kayes-khasso, un médecin pratiquait l’avortement clandestinement sur des jeunes filles. »Il l’a d’abord fait sur sa fille tombée enceinte, afin de sauver la famille du déshonneur ; et ensuite c’est devenu un véritable fonds de commerce pour lui », affirme Gounndokoye.
La mort de ma sœur aurait pu être évitée
Sachant qu’il risquait gros si ça venait à se savoir, le médecin, toujours selon Goundokoye, s’assurait que les jeunes filles gardaient le silence. Il leur faisait signer un document qui le protégerait. »Les choses ont continué ainsi, et ma sœur est tombée enceinte, à son tour, craignant la réaction de nos parents et surtout de la société, décide d’interrompre la grossesse et va voir le médecin en question », nous confie la jeune fille.
»ll a procédé comme à l’accoutumée, je suppose, mais ma sœur n’a pas eu la même chance que les autres; elle décède des complications post-avortement ; un saignement abondant qu’elle a caché et qui lui a finalement couté la vie », affirme-t-elle, ajoutant : « C’est avec beaucoup d’émotion que je vous raconte cette histoire. »
Pour Goundokoye, la mort de sa sœur aurait pu être évitée si elle avait pu se confier à quelqu’un et si la société n’avait pas ce regard si stigmatisant sur les jeunes avortantes.
Que dit la médecine ?
L’avortement, selon Dr Yacouba Fily Coulibaly gynécologue au CHU mère-enfant le Luxembourg, c’est l’expulsion du produit de conception avant le 180ème jour de la grossesse. Selon l’âge et la nature, l’avortement peut être précoce (de la conception à 13 semaines plus 6jours) ou tardif (de la 14ᵉ semaine d’aménorrhée jusqu’à la 27ᵉ semaine plus 6 jours) ; et spontané (complet ou incomplet) ou encore appelé fausse couche; et l’avortement provoqué ou interruption volontaire de grossesse (IVG) qui peut être sécurisé ou non sécurisé (clandestin).
Dans tous les cas de figure, les organes touchés principalement sont l’utérus, le col de l’utérus et le vagin. Que l’avortement soit médicamenteux, chirurgical ou thérapeutique, il y a des risques et des complications qui peuvent survenir, comme affirmé par Dr Coulibaly. Le cas de la sœur de Goundokoye en est l’illustration. Ces effets peuvent être physiques (douleurs, saignements, hémorragies, lésions des organes internes, fièvre, thrombose veineuse, problèmes de coagulation sanguine, infection, perforation de l’utérus, anémie, tétanos…) et psychologiques (détresse, anxiété, dépression).
Ces réactions peuvent être immédiates ; et à long terme, l’avortement peut laisser des séquelles, à savoir l’infertilité et une synéchie utérine. Ces conséquences peuvent être prévenues ou automatiquement prises en charge si l’on suit les soins post-abortum. En effet, ceux-ci sont essentiels pour assurer un rétablissement physique et émotionnel complet et prévenir les complications.
Ces soins incluent un suivi médical pour gérer la douleur, les saignements, l’infection et permettent de s’assurer que l’avortement est bien complet; une consigne pour le planning familial; des conseils pratiques pour la reprise d’activités normales et un soutien émotionnel.
Ces règles sont faciles à respecter quand il s’agit d’avortement spontané; par contre elles s’annoncent compliquées pour les avortements provoqués, surtout clandestinement.
Comme le cas de la sœur de Goundokoye à qui le médecin n’a pas conseillé de soins après avortement et de surcroît elle pouvait pas se rendre dans un centre de santé.
Au Mali, l’avortement est pénalement interdit sauf dans des cas spécifiques et avec autorisation médicale. Ces cas sont : la sauvegarde de la vie de la femme, le viol, l’inceste ou en cas de malformation fœtale grave. Hormis ces cas, les contrevenants s’exposent à des peines de prison (d’un à cinq ans), des amendes (de 150 000 à 1 000 000 de francs CFA) et d’autres sanctions comme des interdictions de séjour ou la suspension d’activité professionnelle.
Les facteurs limitants l’avortement sécurisé
L’accès à un avortement sécurisé est limité, due aux pesanteurs sociales, culturelles et religieuses. Ce qui entraîne une pratique répandue de l’avortement clandestin et ou non médicalisé. Cette situation contribue à un taux élevé de mortalité maternelle.
Nous soulignons ici l’importance d’un suivi après l’avortement qui prévient les complications et sauve des vies. Dans nos sociétés, il ressort des constats que la planification familiale, la sexualité, la santé de la reproduction et l’avortement sont des sujets sensibles, entravés par des barrières religieuses et sociales qui rendent difficile l’accès à l’information et aux services. En effet, de nombreuses religions monothéistes, comme l’Église catholique, l’orthodoxie et une grande partie du protestantisme évangélique s’y opposent farouchement, le considérant comme un crime contre la vie humaine.
Quant à l’islam, la position générale stipule que l’avortement est (haram) interdit car il interfère avec la volonté d’Allah.
Au Mali, même s’il ne ressort pas de manière quantitative dans les documents de statistiques, il demeure constant que l’avortement prend une proportion qui interpelle une synergie d’actions.
Les femmes font face à de multiples obstacles pour accéder à des services de soins post-avortement (SPA) et à la planification familiale (PF), en dépit des programmes de santé mis en place avec l’appui de partenaires internationaux.
Il est peut-être temps de déconstruire la stigmatisation autour de l’avortement qui consiste à rejeter, isoler, accuser ou humilier une personne au sujet de l’avortement. Il est important d’informer sur les droits et de briser les tabous afin de promouvoir un dialogue ouvert sur le sujet et d’améliorer l’accès à des soins d’avortement sécurisés.
C’est ce qui est d’ailleurs enclenché depuis des années par des centres comme Marie Stopes Mali et les One stop center qui offrent des services de santé reproductive, y compris des conseils et des soins après avortement.
Mariétou Macalou




