Les femmes, qui représente plus de 50% de la population, sont incontournables dans la sortie de crise. Leurs regards croisés, Photo illustrative, source: MINUSMA.
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Crise politico-sécuritaire au Mali : regards croisés de leaders féminines

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Le Mali traverse une crise politico-sécuritaire et économique, depuis plusieurs mois qui vient d’atteindre son épilogue, le 9 janvier 2022, avec les sanctions économiques et diplomatiques infligées par les deux organisations communautaires, l’UEMOA et la CEDEAO. Jusqu’où ira cette brouille avec les voisins de la sous-région ? Quelles peuvent être les conséquences de ces crises sur les droits humains, notamment les droits des femmes et des enfants dans un pays déjà essoufflé par plusieurs années de guerre contre le terrorisme et le narcotrafic ?

Avec pas moins de 1 300 écoles fermées, en 2021, plus de 400.000 personnes déplacées à l’intérieur du pays, selon certains organismes des Nations-unies, l’insécurité est le principal moteur de la crise qui secoue le Mali.

Les hommes ont-ils failli ?

Si les avis des leaders féminines sont mitigés sur les manifestations de ces crises, toutes reconnaissent qu’elle a des répercussions négatives sur les populations en générale, les femmes et les filles en particulier, surtout dans le domaine de l’accès à l’éducation et à la santé.

Pour l’ancienne ministre de la culture, Aminata Dramane Traoré, l’ignorance est notre premier ennemi au Mali. Elle impute toute cette situation aux hommes qui ont eu la responsabilité de diriger jusque-là les destinées du pays, depuis des décennies. « Il faut que les hommes changent de paradigme, sinon le développement qu’on nous miroite restera longtemps un rêve. Ce que les hommes ont peur aujourd’hui de dire à l’occident, il faut que les femmes prennent la parole pour le dire. Il faut qu’on renouvelle le panafricanisme, qu’on se fasse confiance entre Maliens et Africains. La démocratie libérale représentative n’est pas un modèle qui peut faire le Mali. Il faut qu’on réfléchisse de manière consensuelle sur qui doit nous représenter », a-t-elle conseillé.

La persistance de notre crise, poursuit Aminata Dramane Traoré, trouve son origine non pas dans le manque de soutien extérieur mais dans le refus d’écouter les solutions endogènes. « Dans cette crise, il faut reconnaitre que nous avons été aidés mais l’aide n’a pas pu nous sortir du trou. Parce qu’il s’agit de solutions pensées à notre place par ceux qui croient être les modèles. Les gens se sont mobilisés le vendredi 14 janvier 2022, c’est une bonne chose, mais ce n’est pas suffisant pour faire face à la situation. Tant qu’on ne s’unit pas pour nous poser des bonnes questions, ça va difficilement marcher. On se leurre, il n’y a pas d’Etat indépendant tant qu’on ne nous permet pas d’utiliser notre aide dans le sens de nos besoins et de nos réalités », est-elle convaincue.

Besoin de transition de rupture

« L’une des conséquences de cette crise est la fermeture des écoles, l’exode massif des enfants, qui prennent le chemin du désert et de l’océan à la recherche de l’eldorado ! Si on admet que notre crise est multidimensionnelle, la transition doit aussi être multidimensionnelle pour nous permettre de faire face aux problèmes posés avec responsabilité. On a besoin d’une transition de rupture, Au-delà des réformes institutionnelles, il faut réformer le Malien lui-même », conseille l’altermondialiste.

Le bras de fer actuel entre opposants et partisans d’une prolongation de la transition n’est qu’un enjeu de pouvoir et n’a rien à voir avec la libération de notre pays, selon l’ancienne ministre de la culture.

La Directrice Exécutive de l’Association des Jeunes pour la Citoyenneté Active et la Démocratie (AJCAD-Mali), Adam Dicko, qui a même fait un plaidoyer devant le Conseil de sécurité de l’ONU, dénonce les inégalités grandissantes entre hommes et femmes mais également entre milieu urbain et milieu rural. Elle a confié au le jalon.com que cette crise « prive des millions de jeunes maliens, constituant 45% de la population active, de bonheur et pousse la plupart d’entre eux à vivre dans la misère ».

Violences sexuelles

La crise au Mali, un autre virus, comme celui de la COVID-19, engendre des disparités criardes particulièrement dans l’accès aux services essentiels, dira-t-elle.

« Les déplacements internes massifs des populations entrainent ladislocation des familles et expose ainsi les enfants au manque d’éducation et particulièrement les jeunes filles aux violences sexuelles et sexistes » selon la Directrice Exécutive de l’AJCAD. Elle a mis en exergue le comportement des jeunes déçus et révoltés contre l’Etat qui n’arrive plus à assurer leur sécurité. Les plus fragiles, déplore-t-elle, se rallient aux groupes extrémistes pour des raisons pécuniaires et matérielles, mais aussi souvent, pour protéger leurs proches.

Adam Dicko dénonce aussi les insuffisances de notre système démocratique : « La démocratie malienne va mal et manque d’amis sincères. Au nom de la sacro-sainte stabilité, les puissances négocient des compromis qui fragilisent la démocratie déjà pourtant faible. Cela permettra aux jeunes de déconstruire les mythes qui leurs sont vendus par certains acteurs malintentionnés, aussi formels qu’informels ».

L’une des conséquences de cette crise pour les jeunes et surtout les femmes, c’est le manque de perspective économique, selon Adam Dicko. Cette situation, soutient-elle, expose les jeunes à des tentatives de migrations très souvent de manière clandestine et à leurs risques et périls.

Le financement de la guerre par le gouvernement, un facteur de paupérisation qui touche beaucoup les femmes, selon elle.

« Aujourd’hui, mon pays mobilise de précieuses ressources pour financer notre sécurité, souvent au détriment de nos écoles et de nos hôpitaux pourtant aussi précieux et important que la sécurité », regrette-t-elle.

Pour une sortie de crise rapide et durable, Adam Dicko pense que la société civile malienne doit être une alternative crédible : « Il est primordial que notre société civile soit soutenue, accompagnée et renforcée. A travers elle, nous améliorerons la gouvernance en travaillant pour plus de transparence et de redevabilité dans l’action publique. Nous apporterons de nouvelles solutions et créerons un nouvel vivre-ensemble ».

Le panier de la ménagère touché

L’une des conséquences les plus accentuées de ce climat d’insécurité est la déscolarisation de près de 8 millions d’enfants âgés de 6 à 14 ans nos scolarisés au Mali, au Niger et au Burkina Faso.

Pour une responsable du ministère de l’Education nationale, l’insécurité augmente les défis chroniques déjà existants auxquels sont confrontés les enfants : mariage précoce, exploitation économique. Ils et elles se retrouvent contraints de quitter leur village à la recherche de moyens de subsistance ou de survie. Dans les communautés d’accueil déjà fragiles, le fardeau des déplacements forcés devient de plus en plus insoutenable. Les adolescentes sont exposées à des abus sexuels, au mariage ou à des grossesses non désirées en plus des inégalités de genre préexistantes.

Risques sur la promotion des femmes

La crise, selon Mme Gakou Salamata Fofana, ancienne ministre, non moins militante du parti FARE, est un véritable coup dur sur le panier de la ménagère. Les prix ont grimpé, à tous les niveaux sur les marchés, a-t-elle fait constater. Le drame, c’est la rareté de certains produits de première nécessité malgré les efforts des autorités. Sur le plan politique, la persistance de la crise, entraine une désorganisation des femmes, a-t-elle mise en garde. Une telle démobilisation, si elle perdure, selon elle, risque d’avoir des conséquences sur des acquis en matière de promotion de la femme. « Tout doit être mis en œuvre, à mon avis, pour encourager les femmes, afin qu’elles maintiennent le flambeau allumé de la lutte pour leurs droits, notamment l’égalité du genre, dans les instances de prise de décision », nous a-t-elle confié.

Si entre 2020 et 2021, la représentation des femmes au sein du Comité de suivi de l’accord de paix est passée de 3% à plus de 30%, selon M. Lacroix, Chef des opérations de maintien de la paix de la Minusma, il n’en demeure pas moins que les femmes endurent les effets de la crise. Elles sont notamment victimes d’actes de violence sur la base du genre, selon lui.

« Ce reportage est publié avec le soutien de JDH, Journalistes pour les Droits Humains au Mali et NED »