Lauréate du prix Galien Afrique 2021, du ‘’meilleurs produit tradithérapie’’, cheffe du département médecine traditionnelle du Mali et non moins experte de l’Organisation Ouest Africaine de Santé, de l’Organisation Mondiale de Santé, l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) et du CAMES, le Pr Rokia Sanogo a une vision pointue du développement du Mali, à travers la recherche scientifique, particulièrement dans le domaine de la médecine traditionnelle. Quel avenir désormais pour le sirop Balembo qui lui a valu ce prix ? A travers ces lignes, elle nous parle de son prix reçus des mains du président du Sénégal, Macky Sall, des efforts faits, dans son pays, dans le domaine de la recherche scientifique en médecine traditionnelle au Mali. Quant à sa vision de l’inclusion des femmes, elle estime que celle-ci peuvent jouer un rôle important dans le développement du sous-secteur, si elles sont encadrées et accompagnées.
Le Prix Galien Afrique, selon la lauréate 2021, a pour but de récompenser les chercheurs, les institutions et industries pharmaceutiques du secteur public ou du secteur privé ayant mis au point des initiatives, des services, des produits pharmaceutiques, de phytothérapie, biotechnologiques, de diagnostic et les dispositifs médicaux récemment introduits sur le marché africain. Galien, rappelle-t-elle, est le père de la pharmacie. C’est pourquoi d’ailleurs, avant de prendre son diplôme de docteur en pharmacie, le serment que ‘’nous prêtons s’appelle le serment Galien. Il est à l’origine de l’art pharmaceutique. S’il y a 50 ans maintenant que ce prix existe, à l’international. En 2021, le Sénégal, dans le processus ‘’du Sénégal émergent’’, a démarché et a fait venir le prix en Afrique’’ », édifie-t-elle.
En 2021 donc, il a été décidé de lancer le prix Galien Afrique. Parmi les critères de compétition, les produits devaient avoir une autorisation de mise sur le marché de 5 ans, au moins. Des produits ou équipement validés que la population utilise avec un impact, nous a expliqué Rokia Sanogo.
« Au regard des critères ainsi cités, j’ai fait postuler le Mali avec le sirop Balembo qui est issu de la recherche au Mali et qui est utilisé contre la toux sèche. Il est le fruit de la recherche de notre père académique, le Pr Mamadou Koumaré. Il a aussi une autorisation de mise sur le marché, depuis 1983.Mieux, ce produit est sur la liste des médicaments essentiels au Mali », a-t-elle soutenu.
Le processus !
Avec l’avènement de la COVID-19, poursuit-elle, le Balembo a été proposé et accepté par les médecins spécialistes comme un traitement de cette maladie.
« Le constat des médecins est qu’il y a souvent de la toux sèche qui est associée à cette maladie. Pour cela, nous on a fait des propositions, sur la base des tisanes, des sirops, dont nous disposons afin que ces produits puissent être associés au traitement de la COVID avec l’aide de l’ordre des pharmaciens du Mali. Donc, l’ordre des pharmaciens a approvisionné les centres de lutte contre la COVID en sirop Balembo, produit par la DNP. Donc, ces rapports m’ont permis de faire postuler ce produit à la compétition. C’est un résultat de la recherche du Mali, du département de la médecine traditionnelle que j’ai le mérite de faire connaitre. C’est ainsi que ce produit a été primé, à l’issue du concours. Ce que les gens ne savent pas, c’est que le Mali est à l’avant-garde de la recherche, dans le domaine de la pharmacopée», a-t-elle précisé au lejalon.com.
Un secteur stratégique
Si depuis 2016, Mme Rokia Sanogo dirige le département médecine traditionnelle, une première au Mali, en tant que femme, il faut dire que la recherche scientifique dans ce sous-secteur remonte loin : « Le Mali est à l’avant-garde dans la recherche dans le domaine de la pharmacopée. Parce que comme je l’ai dit, il y a eu très vite des initiatives. Le problème, c’est qu’on ne valorise pas ce qu’on a », s’est-elle défendu.
Consciente de la situation et de la mission, le professeur Sanogo s’attèle, depuis peu, à rattraper le temps perdu.
« C’est cette erreur que je m’efforce de corriger. Les résultats concrets sur le sirop Balembo rentrent d’ailleurs dans ce cadre. Vous avez vu, le travail a consisté à le présenter à un concours jusqu’à ce qu’il a eu un prix. Il y a beaucoup d’autres initiatives qui sont laissées, presque abandonnées. Pour moi, si les recherches de mon professeur Mamadou Koumaré avaient été valorisées, à hauteur de souhait, avec l’avènement de la COVID-19, il y a beaucoup de produits qu’on n’allait pas avoir besoin d’importer, parce qu’il y a des plantes pour la prise en charge. Il y a la recherche qui a permis d’avoir des résultats. Je pense que ce domaine est un secteur stratégique pour le développement dans lequel, l’Etat du Mali doit mettre beaucoup d’argents, parce qu’aucun partenaire de l’extérieure ne le fera à notre place. Parce que si nos produits sont valorisés, ils peuvent concurrencer les leurs chez eux. Normalement, si on a une bonne stratégie, on n’a plus besoin d’exporter des sirops de la même valeur que Balembo. Je pense que dans le domaine de la pharmacopée, l’engagement politique aujourd’hui doit être accompagné par des moyens concrets ».
Aussi, déplore-t-elle certaines promotions politiques sans lendemain de nos chercheurs ou mêmes intellectuels, d’une manière générale : « Moi je pense que la valorisation des gens, ce n’est pas les enlever de ce qu’ils savent faire. C’est ce qu’on constate au Mali, dès que quelqu’un commence à progresser dans un domaine, on l’enlève pour des postes politiques qui n’ont généralement aucun lendemain. Quand j’ai eu le prix Kouamé N’Kruma, après tous les honneurs que j’ai eu de la part des autorités, j’ai dit au président de me soutenir, de me renforcer pour donner plus de visibilité à ce secteur. Cette fois-ci aussi quand je serai reçu par les autorités, c’est le message que je vais leur dire ».
Le défi du financement de la recherche
La recherche scientifique au Mali souffre de beaucoup d’handicaps, selon la lauréate, dont la question du financement. En mettant en place un fonds compétitifs pour la recherche doté d’un budget de 500 millions, elle pense que le gouvernement a posé les bases. Cela est un grand effort à saluer, souligne-t-elle. Toutefois, pour être utile, il y a des choses à revoir dans ce dispositif.
« Pour être efficace au bénéfice des chercheurs, les fonds de la recherche ne doivent pas être soumis aux règles générales de trésorerie. La réflexion aujourd’hui doit être menée sur comment accéder rapidement à ce financement mis à disposition par l’Etat. Par exemple si l’Etat dit que mon projet de 100 millions ou 200 millions est retenu pour être financé par le fonds compétitif de la recherche, mais si je dois passer par le trésor, il y a un problème. Parce que je n’aurai pas ce financement à temps. A mon avis, il faut mener la réflexion autour de l’accès rapide au fonds de l’Etat. Pour le cas de la COVID-19, l’Etat a mobilisé 150 millions de francs CFA pour la recherche, les gens ont fait des protocoles de recherche qui ont été retenus, depuis juin 2020. A présent, aucun protocole n’a été financé. Or, dans tous les pays, les Etats ont financé la recherche contre la COVID-19 », a-t-elle expliqué avant d’ajouter : « Moi je pense même que c’est nécessaire de prendre des textes de dérogation pour créer des comptes spécifiques pour dire que l’argent de la recherche ne va pas dans la caisse commune, mais on veut des traçabilités ».
Pôle de recherche ?
Il y a aujourd’hui, certaines difficultés qui entravent la promotion de la recherche au Mali, dont la question de la carrière du chercheur. Donc, il faut mettre des émoluments, pour que la recherche soit attrayante comme l’enseignement, préconise-t-elle.
‘’Il faut qu’on mette dans les conditions nos jeunes qui veulent faire carrière dans la recherche ; des indemnités qui vont faire en sorte qu’ils ne vont pas abandonner; des moyens pour qu’ils participent aux réunions internationales… »
Elle regrette que l’essentiel de la recherche soit financé par l’extérieur, ce qui ne profite pas beaucoup au domaine de la médecine traditionnelle.
« Nous ici, on peut devenir un pôle de recherche. Mais pour cela, il faut que l’Etat s’assume, sinon, aucun partenaire ne mettra son argent pour financer la pharmacopée. Il ne suffit pas de dire, on a mis de l’argent dans la recherche scientifique, il faut voir les zones spécifique et faire en sorte que les jeunes restent ».
De la valeur ajoutée
Dans toutes les régions du monde, la recherche permet de résoudre des problèmes. Si on veut que la recherche contribue au développement, il faut qu’on prenne des thématiques de recherche qui répondent à des problèmes donnés, insiste Rokia Sanogo.
Si on veut que la recherche ne soit pas seulement une recherche académique, le plaisir seulement de faire une publication : ‘’je fais ma carrière, il faut lier la recherche à la réalité. Par exemple, avec le sirop Balembo aujourd’hui, j’ambitionne le développement de toute une filière de la plante Balembo : la culture, la collecte, le transport et la transformation’’, nous a-t-elle expliqué.
« Déjà, le prix qu’il vient de remporter permet de mieux le vendre sur le marché national et même l’introduire sur les marchés africains. Je ferai aussi le plaidoyer pour qu’à côté de Balembo, on puisse faire d’autres produits. Les résultats de la recherche doit pouvoir faire des devises, et c’est ça notre ambition. Dans notre cas, on va faire la santé publique, mais si on nous renforce avec une unité de production de ce sirop en grande quantité pour servir tout le Mali, c’est l’industrialisation, la création d’emplois. Mais ce n’est pas tout, après on va à la valorisation de la plante. Nous pouvons organiser un réseau de collecte des fruits du Balembo, à travers le Mali. Après, on peut investir sur la recherches de la culture de la plante du Balembo. C’est toute une chaine économique… qui peut être développé autour de la plante Balembo ».
L’inclusion des femmes.
Sur la question de l’inclusion des femmes et des jeunes, elle dira qu’il y a déjà beaucoup de femmes dans la recherche au Mali. Mais pas dans le domaine de la pharmacopée.
« Comme moi je suis têtue, j’ai tenu pour être là où je suis aujourd’hui. C’est quand même un parcours, ce n’est pas facile. Comme vous le savez, d’aucuns pensent même que c’est un domaine réservé aux hommes, la pharmacopée. Même dans un cercle plus haut d’intellectuels, on pense que les femmes sont faites pour être sous la domination des hommes. Mais, moi j’ai opté pour être valorisé, à travers mon travail ». La promotion des femmes dans ce secteur a un coût, mais aussi une stratégie, dira-t-elle.
« Si nous voulons que les femmes soient là dans ce domaine, il faut mettre des mesures d’accompagnement. Quand j’ai été agrégée en 2009, en 2010, j’avais 10 étudiants, dont 9 filles, mais à la fin, elles sont toutes parties. Dernièrement, entre 2018 et 2020, j’avais 25 étudiants, en thèse, en majorité des filles. Elles sont également parties parce que je n’ai aucun moyen de les entretenir encore moins de pouvoir les recruter. On sait qu’à ce niveau déjà, un étudiant ou une étudiante, ça fait beaucoup d’investissements. Donc, ils vont construire leur vie ailleurs. Si on veut maintenir les femmes dans ces secteurs, moi je pense qu’il faut des mesures d’accompagnement qui leur permettent d’espérer sur quelque chose au bout du compte. Pour le moment, tel n’est pas le cas. Je pense que l’inclusion des femmes dans ces secteurs spécifiques ne tombera pas du ciel. On aura beau parler de toutes ces histoires de quota de 30% et d’autres dispositions législatives en cours, tant qu’on ne fera pas du concret, rien ne bougera. Je pense qu’il faut mettre en places des mesures qui permettent de proposer un plan de carrière professionnel avec des critères s’il le faut, pour les jeunes. Ces émulations vont les faire espérer », suggère-t-elle.
Sortir de l’isolement !
Le projet de la lauréate du prix Galien Afrique 2021, chef du département de recherche de la médecine traditionnelle, ‘’c’est travailler à nous sortir de notre isolement’’. Dans ce cadre, souligne-t-elle « nous faisons beaucoup de choses : je vais voir les patients, j’échange avec les médecins sur une utilisation rationnelle de nos produits. J’attire les médecins sur les secteurs dans lesquels nous avons de meilleurs résultats dans le domaine de la médecine traditionnelle. Il s’agit de les amener à mieux les exploiter pour le bonheur des Maliens. »
Aussi, le secteur, indique-t-elle, a besoin d’une communication saine sur les opportunités de la médecine traditionnelle.
« Nous sommes victimes, ces temps-ci, de la monétisation de l’urbanisation. Aujourd’hui, on a une multiplication de structures de vente de produits hors circuit professionnel. Il y a les radios qui crient et ces radios sont devenues des postes de vente des produits et des animateurs qui deviennent des représentants, alors qu’on est médicament. Le danger, c’est qu’on a des produits qui sont en train de tuer parce qu’ils sont falsifiés. C’est-à-dire des médicaments mélangés avec des produits chimiques toxiques », a-t-elle conclu.
Il faut noter que le Pr Rokia Sanogo est Coordonnatrice du « Programme thématique de recherche (PTR) – Pharmacopée et Médecine Traditionnelles Africaines (PMTA) » du CAMES. Docteur en Pharmacie, PhD Pharmacognosie, première femme Maître de conférences agrégée et Professeure titulaire du CAMES en Pharmacie au Mali, elle est Cheffe du Département Médecine Traditionnelle, Centre d’excellence du programme Médecine Traditionnelle de l’Organisation Ouest Africaine de Santé (OOAS 2015). Elle enseigne la Pharmacognosie, la Phytothérapie et la Médecine Traditionnelle. Rokia SANOGO est également experte de l’Organisation Ouest Africaine de Santé, de l’Organisation Mondiale de Santé, l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) et du CAMES.
« Ce reportage est publié avec le soutien de JDH, Journalistes pour les Droits Humains et National Endowment for Democracy – NED ».