Face à la rareté des poissons dans le Niger, des Bozo, pêcheurs traditionnels maliens, recourent à la pisciculture. Une activité plus rentable mais qui nécessite d’énormes moyens.
A Magnambougou, près des installations de l’Energie du Mali, le Niger s’agite. La force des écoulements, aidée par les rochers, forme des vagues hautes de quelques centimètres. Non loin de là, Toubacoro III, un campement de pêcheurs installé sur les côtes du fleuve. La crue a fait fondre une dizaine de maisons. Les femmes s’affairent à préparer le petit-déjeuner, le patriarche, la mine serrée, à bord de sa pirogue, retourne de sa traditionnelle chasse. La moisson n’a pas été bonne.
« La pêche n’apporte plus depuis des années, surtout en cette période de la montée des eaux. Après plusieurs heures sur le fleuve, voici ce que j’ai trouvé« , se désole le paternel, exhibant un bidon de vingt litres, qui sert de bourriche, au contenu maigre. A peine une trentaine de fretins. Et les plus gros ne pèsent que quelques grammes. L’envie de se reconvertir en pisciculteur est devenue une obsession pour Daouda Sininta. Hélas, il peine à franchir le pas pour faute de moyens.
La pisciculture, une alternative
« La pisciculture demande beaucoup de moyens. La cage flottante et les aliments pour poissons coûtent excessivement chers. Je suis conscient qu’un simple pêcheur ne peut pas se lancer dans cette activité », reconnaît-il. Daouda Sininta sollicite l’appui du gouvernement pour doter leur campement de cages flottantes. Il y a plus d’une année il avait même rencontré des représentants de la Direction nationale de la pêche.
Malgré tout, le patriarche du campement, déterminé à assurer la survie de son clan, a construit un bassin au bord du fleuve. Les soixante-deux familles que comptent la communauté y ont contribué. « C’est un bassin de quatre mètres carrés avec un profondeur de six mètres. Chaque semestre, nous vendons les poissons élevés. Nous nous achetons du mil et du riz pour les périodes de la vache maigre comme maintenant« , commente Daouda Sininta.
Un peu plus loin, lorsqu’on remonte le fleuve, au campement de Badalabougou, dans la Commune V du district, Moussa Sidibé, est l’un des rares pêcheurs qui pratique la pisciculture. Installé au bord du Djoliba depuis 30 ans, la cinquantaine révolue, ce Bozo s’est reconverti il y a sept ans. Son étang piscicole a une dimension de cinq mètres sur trois. Il lui permet de gagner 100 000 francs CFA après chaque cycle d’élevage et survient ainsi aux besoins de sa famille.
Moussa Sidibé ambitionne désormais d’installer des cages flottantes sur le fleuve. D’autant que celles-ci seraient plus rentables et moins dépensiers, selon lui. Et « c‘est une activité facile à pratiquer par les Bozo, à condition qu’ils soient soutenus, dans un premier temps, par le gouvernement », soutient-il.
Le Niger, une mine inexploitée au Mali
La portion malienne du bassin du Niger est évaluée à 570 000 km2, soit 48 % de la superficie totale du pays, selon l’Agence du bassin du fleuve Niger. Un potentiel inexploité, selon la présidente de l’Association des femmes agricultrices du Mali, Sirébara Fatoumata Diallo, qui exerce également dans le secteur de la pisciculture. « Cette activé peut pourtant nous permettre de réduire le taux d’importation du poisson et de créer de milliers d’emplois », estime-t-elle.
Sirébara Fatoumata Diallo croit fermement que l’implication des Bozo est indispensable pour le développement de la pisciculture. « Ils connaissent les poissons et vivent auprès du fleuve. » Elle recommande donc au gouvernement de prendre des dispositions pour promouvoir le secteur. Cela passe, selon elle, par la multiplication des usines de fabrication d’aliments des poissons, la subvention des étangs ainsi que de l’ensemble des produits nécessaires pour la production piscicole.
Que ce soit à Bamako ou ailleurs, les BOzo sont tous concernés. »
Depuis 2008, un programme quinquennal d’aménagement aquacole a été mis en place à la Direction nationale de la pêche. Actualisé en 2016, il bénéficie d’un financement annuel – entre 200 millions de francs CFA et 700 millions – sur le budget national, en vue de développer la pisciculture et accroître la productivité aquacole. Mais le gouvernement n’a jamais associé les Bozo à cette nouvelle pratique de l’agriculture au Mali. En juin 2016, ces pêcheurs traditionnels avaient d’ailleurs profité de la « Journée des paysans » pour interpeller le président Ibrahim Boubacar Keïta à ce sujet.
« Depuis, le ministère de l’Elevage et de la Pêche a formulé des recommandations pour développer la pisciculture chez les pêcheurs. Ce qui nous a amené à élaborer le projet d’installation des cages flottantes avec les pêcheurs à Bla, San, Sélingué, … », confirme Mady Keita, directeur national de la pêche. Pour lui, le principal défi reste la maîtrise des techniques d’élevage des poissons. « Nous formons les gens avant de leur fournir les kits. C’est pourquoi le processus prend du temps. Que ce soit à Bamako ou ailleurs, les Bezo sont tous concernés par le programme », assure M. Kéïta.
A l’en croire, la pêche de capture a montré ses limites au Mali à cause de la faible pluviométrie et la pollution des eaux du fleuve : 100 000 tonnes des poissons par an pour une demande qui frôle les 200 000 tonnes. La pisciculture s’impose alors comme l’unique option pour satisfaire la demande nationale en poissons d’eau douce.