Students get food during a distribution organised by French charity food SARAH MEYSSONNIER / REUTERSdistribution SARAH MEYSSONNIER / REUTERS association "Les Restos du Coeur" (Restaurants of the Heart) at a CROUS student residence in Paris during the coronavirus disease pandemic in France, February 16, 2021. Picture taken February 16, 2021. REUTERS/Sarah Meyssonnier NO RESALES. NO ARCHIVES

France : Non, 40% de la population française ne survit pas grâce aux restos du cœur

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Le mercredi 8 février 2024, un journal hebdomadaire bamakois a dénoncé dans un petit article « la France décadente d’Emmanuel Macron ». « Il prend l’argent des contribuables français pour financer un conflit en Ukraine où la France n’a rien à cirer au nom d’une prétendue démocratie, met l’économie française à genoux avec une inflation sans précédent qui oblige 40% de la population française à vivoter et survivre grâce aux restos du cœur », écrit l’auteur.

Capture écran du Journal

Ignorons le ton provocateur de l’article et concentrons-nous sur le fond. Il y a deux idées principales qui se complètent dans cet article, et qui méritent vérification. La première est que le soutien d’Emmanuel Macron à l’Ukraine a appauvri la France. La deuxième est qu’à cause de cet appauvrissement, 40% de la population française « survivent grâce aux restos du cœur ». Est-ce vrai ?

Une aide multiforme

Comme le précise le site du ministère français des armées, depuis le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine en février 2022, le soutien militaire de la France à l’Ukraine s’organise autour de trois grands jalons : la livraison d’armes et de matériels, la formation des militaires ukrainiens, et la mise en place de mécanismes financiers spéciaux. La France offre  notamment « des blindés et surtout des systèmes d’artillerie Caesar avec leurs munitions », et forme des soldats ukrainiens « à  hauteur de 200 par mois » lit-on encore sur le site du ministère des armées.

En ce qui est du soutien financier, le ministère français des armées souligne encore que le ministre Sébastien Lecornu  a signé le 13 octobre 2022, avec son homologue ukrainien Oleksii Reznikov un « fonds spécial de soutien à l’Ukraine » à hauteur de 200 millions d’euros pour l’année 2023, et il a été décidé de le « réabonner de 200 millions d’euros en fin d’année 2023 ».

La France participe aussi à la « Facilité européenne de paix » (FEP), un outil financier de politique étrangère de l’Union Européenne créé en 2021, qui a « permis de mobiliser 7,2 milliards d’euros au profit de l’Ukraine ». « La France est le deuxième contributeur de ce mécanisme avec près de 1,3 milliard d’euros fin 2024, soit 18 % de l’aide à l’Ukraine par la FEP. », précise la même source.

Une goutte d’eau dans l’océan

L’aide à l’Ukraine a-t-elle  appauvri la France ?La réponse est non. Si on additionne les sommes communiquées en haut par le ministère des armées, l’ensemble de l’aide de la France à l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie devrait avoisiner 1,7 milliards d’ici à la fin de 2024. Or, le budget annuel de la France est de 454,6 milliards d’euros au 31 décembre 2023, d’après le site du ministère français en charge de l’économie et des finances. Ce qui fait que l’aide accordée à l’Ukraine jusqu’ici n’atteint pas 0,4% du budget de la France. Ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Par ailleurs, cette  aide de la France reste minime comparée aux 110 milliards de dollars débloqués par les Etats-Unis.

Les Restos du Cœur ont aidé 1,3 million de personnes en un an

En plus, la France ne cesse d’augmenter le salaire minimum des travailleurs les plus pauvres. D’après le site Vie Publique, la France a connu « sept hausses du SMIC du 1er janvier 2021 au 1er mai 2023 et une hausse cumulée de 13,5% sur la période ». Au 1er janvier 2024, le SMIC a passé à 1 766,92 euros par mois  selon la même source.

Contrairement à ce qu’affirme le journal bamakois, 40% de la population française ne survivent pas grâce aux Restos du Cœur. L’association fondée par le célèbre humoriste Coluche, et qui distribue des repas à ceux qui sont dans le besoin en France, assure sur son site avoir accueilli 1,3 million de personnes en un an en 2022-2023. Ca équivaut à 1,9% des 68,4 millions d’habitants que constitue la France.

Guerre informationnelle entre le Mali et la France

Cette fausse information sur la supposée « décadence de la France » s’inscrit sans doute dans ce que certains Maliens considèrent comme une guerre informationnelle en cours entre le Mali et la France.

Le 2 février 2024, la Haute autorité de la communication (HAC) du Mali a suspendu pour quatre mois la diffusion au Mali de la chaine France 2 pour « manquement à l’éthique et à la déontologie » et « apologie au terrorisme ». La HAC accuse la chaine française d’avoir diffusé le 18 janvier 2024 un reportage dans lequel elle aurait contribué à « banaliser la violence ». France 2 s’ajoute à deux autres médias français RFI et France 24 qui ont été « définitivement suspendus » en avril 2022 sur fond de tension entre le Mali et la France. Les autorités maliennes accusaient les deux médias d’agissements comparables à ceux de la radio Mille Collines, un media qui encourageait le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994. France Médias Monde, la maison mère de RFI et France 24, a toujours nié les accusations du gouvernement malien, assurant produire « une information libre, experte et ouverte sur le monde ».

Peu importe l’ampleur du conflit entre le Mali et la France, la publication de fausses informations reste une entorse à l’éthique et à la déontologie du journalisme. Même si certains journalistes considèrent que la France est coupable, ils devraient appliquer ce principe attribué à l’empereur romain et philosophe stoïcien Marc Aurèle selon lequel « la meilleure façon de se venger d’un ennemi, c’est de ne pas lui ressembler ».

Par Jean-Marie Ntahimpera

Le Jalon

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