Des déplacées assises à même le sol

Baguinéda : Plus de mille déplacés en quête de soutien

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À Baguinéda, plus de mille déplacés, hommes, femmes et enfants, ayant fui les conflits cherchent soutien.  

« Nous avons faim, nous sommes exposés à des malades et aux intempéries », se lamente Ibrahim AG Mohamed Dicko, porte-parole d’un nouveau groupe de déplacés à N’Tintinbougou. 

Arrivés au camp de déplacés de N’Tintinbougou avec d’autres déplacés dans l’espoir de trouver refuge, ils ont été renvoyés. Et pour cause, il n’y a plus de places.

Ibrahim et son groupe ont dû s’installer quelques mètres de là. Venus des localités du Centre du pays, ils sont nombreux à s’installer dans cette commune, qui est située à une trentaine de kilomètres de Bamako, en direction de Ségou sur la route nationale RN6. Sur place, ils occupent illicitement les abords des champs et les concessions inachevées en brousse, dans des conditions très difficiles. Parmi elles, deux nouveaux groupes qui ont attiré notre attention en raison de leurs effectifs plus élevés. Il s’agit du groupe qui réside à Sebela, qui sont au nombre de 217 et celui de Kobalacoro (N’Tintinbougou) ils sont nouveaux. Ce dernier site est composé de 35 foyers avec un nombre d’enfants plus élevé (176), une trentaine de femmes et d’hommes dont des célibataires. Au total ils sont 241 personnes déplacées, selon la liste validée par le chef de village.

Rejetés par le premier site, et à cause des intempéries, ce groupe s’est retrouvé dans une concession inachevée, au flanc de la colline, à droite sur la route nationale RN6 en partant à Ségou, à deux kilomètres de Kobalacoro, vers le Sud.

Ce jour, dans la cour, des regards tristes. Une vingtaine de femmes sont assises sur la natte. Des enfants dont « la plupart ont perdu leur père », s’amusent. D’autres plus petits, en train de téter dans les bras de leur maman qui disent n’avoir rien mangé depuis le matin, à part quelques « galettes ».

De loin, quelques hommes assis sous l’ombre sur des bidons et des briques. Les plus âgés sur la natte. Un peu à l’angle, une vieille, septuagénaire sur son tapis de prière, visiblement malade. Pas de latrines, les autres parties sont occupés par des herbes. La maison bien que couverte, est en chantier. Le hic, le propriétaire ne sait même pas qu’il a des invités. C’est l’instinct de survie qui a conduit Dicko et son groupe dans ce local, selon lui. Ils parlent touarègue, peulhs et Bomou (Bwas). « Lorsque nous sommes venus, nous n’avions pas d’endroit où dormir. Alors que nous avons passé beaucoup de nuit sans fermer les yeux. Pendant la nuit les femmes et les enfants occupaient un hangar du village. Avec la pluie, la situation devenait intenable, alors je suis rentré dans la brousse pour chercher un endroit pour nous mettre à l’abri des intempéries. C’est ainsi que je suis tombé sur cette concession », a-t-il avoué.

Dans le groupe, deux jeunes filles, trentenaires, ont appris le décès de leur mari après l’attaque, l’une d’elles a huit enfants. « Depuis l’annonce elles ne font que pleurer. Elles regrettent d’avoir tourné le dos à leur mari. Ces derniers, qui nous ont aidés à sortir, m’ont chargé de veiller sur leurs épouses avant qu’ils nous rejoignent ici. Ils pensaient gérer leurs biens avant de sortir. Hélas !!! Deux semaines après, nous avons appris qu’ils ont été tués. Leurs épouses observent la période de veuvage dans la chambre, ici », nous a confié Ibrahim AG Mohamed.

Sur place ils ont été accueillis par le chef du village et le président des jeunes de Kobalacoro qui font du mieux qu’ils peuvent pour eux. Mais la période est mal choisie, en plein hivernage, c’est la période de soudure, les greniers sont presque vides et en attente de la nouvelle récolte.

« Nous avons tout perdu. Nous faisions des petits commerces pour aider nos maris à subvenir aux charges du foyer. Ici, on ne connait personne. La langue aussi pose problème », a déclaré Thérèse Wallet Assombo. Selon elle, depuis leur arrivée, les jeunes filles parmi elles vont de porte en porte pour chercher du travail afin d’aider les jeunes hommes qui aussi, partent tôt le matin, chercher du travail dans les champs. Ils sont payés la journée de 8h à 14h à 3500FCFA, ou par dimension de 20 mètres carrés qui coûtent 2000FCFA, 2500FCFA. Avec ça ils aident le groupe à tenir. Mais ce n’est pas suffisant ! Ils sont vraiment en besoin d’assistance. 

Selon Dicko, ils ont fui leur village à cause des terroristes qui leur demandaient de les rejoindre où de quitter immédiatement le village. « Ils sont venus me voir quelques jours après leur arrivée. Une dizaine en ce moment. J’ai été leur voir avant d’informer le chef du village et la mairie. Ils n’ont pas d’abri. Une personne de bonne volonté nous a montré son terrain vide. Il dit qu’ils peuvent s’y installer une fois qu’ils auront des bâches>>, nous a indiqué Harouna Coulibaly président de la jeunesse de Kobalacoro. A Sébéla, village situé à l’Est, après la ferme Kledu, les déplacés endurent les mêmes peines.  « Nous avons besoin des vivres, de l’eau, des soins et des bâches. Le chef du village nous a rassuré qu’ils auront des places pour nous permettre de nous installer si nous trouverons des bâches pour les tentes », nous a fait savoir Moussa Dembélé, éleveur, déplacé originaire du village de Yolo, commune rurale de Doumdeye, cercle de Bankass. Il est là depuis neuf mois maintenant.

Hormis le premier site, tous les autres sont dans cette situation. Ils s’y plaisent, mais pour combien de temps ? Selon maître Hamidou Maïga, avocat au barreau malien, le simple fait de s’abriter dans un domaine privé n’est pas constitutive d’une infraction à la loi pénale. Le propriétaire a le droit de solliciter l’expulsion de toute personne occupant son domaine privé contre sa volonté.

Boubacar Camara, point focal des déplacés à la mairie estime à environ 2000 le nombre de déplacés dans sa Commune.

« Nous n’avons rien à leur donner. Nous les recensons et faisons remonter l’information au niveau du service de développement social à Kalabancoro et des différentes Organisations Non Gouvernepentales (ONGs) », a-t-il précisé.

Problèmes de santé

Pour le médecin chef du Cscom de Baguinéda-Camp, Abdoul Karim Fané, les enfants victimes de cette situation sont exposés aux maladies respiratoires « s’ils dorment à la belle étoile où qu’ils ne sont pas biens protégés contre les humidités de la nuit,  la malnutrition aiguë entre autres ».

En surnombre sur les sites

Pour Diakaridja Diabaté, point focal du site officiel de N’Tintinbougou, chez eux, le nombre est atteint. « Nous ne pouvons pas recevoir d’autres déplacés. Nous sommes désolés mais c’est comme ça », a-t-il dit.

Pour Fané Assitan Diabaté, agent administratif de l’action sociale au niveau du service du développement social, récemment nommée responsable du premier site de N’Tintinbougou, il y a une différence entre ce site et les autres comme celui de Sénou. D’après elle, ils sont sur un espace privé. À l’en croire, ce site est installé sur les parcelles de quelques bonnes volontés depuis 4 ans. Avec plus de 400 déplacés, qui sont enregistrés à la Canam. Et bénéficient des soins de santé.

« Malheureusement le système est fait en sorte qu’il ne peut y avoir d’autres déplacés sur ce site. C’est une installation privée. », a-t-elle regretté. Avant de reconnaître l’existence des autres sites. Nouvellement venue, elle y travaille déjà en activant ses réseaux afin que des partenaires puissent l’aider à mieux s’occuper de tous ces sites qui sont dans des conditions anarchiques. D’ailleurs elle sollicite l’Unicef et des organisations humanitaires pour une meilleure prise en charge des enfants et des femmes qui sont dans ces situations extrêmement difficiles.

Au total, ils sont 1433 personnes déplacées internes enregistrées à la mairie de Baguinéda de fin 2020 au mi-août 2024, selon le point focal à la mairie, qui affirme être à l’attente des nouvelles listes.

Moussa Sékou Diaby

Le Jalon

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