Cette dame a combattu aux côtés de son époux contre le colonisateur lors de la prise du village de Diena, cercle Bla, en 1891
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Inclusion et représentativité des femmes : ce que dit la Charte de Kurukan fuga !

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La société traditionnelle africaine est considérée comme phalocrate. Cependant, la Charte de Kurukan fuga, considérée comme la première déclaration universelle des droits de l’Homme, vient démentir cette assertion. Que dit-elle à propos de l’inclusion de la Femme ? Qu’en pensent les traditionnalistes ?

La phallocratie, selon Wikipédia, est la domination sociale, culturelle et symbolique exercée par les hommes non apparentés sur les femmes.

Selon plusieurs études et sagesses populaires consultée, le rôle et l’image de la femme, ont évolué dans le temps et dans l’espace. Les connaisseurs de notre société considèrent la situation de la femme malienne comme un aspect de la situation générale du peuple malien, laquelle a été dangereusement compromise par la domination coloniale et néocoloniale. Mais depuis l’indépendance, les femmes peu satisfaites de leur rôle et place dans les instances de prise de décision s’organisent (éducation des filles, création d’associations et organisations féminines) pour accéder aux mêmes obligations, et aux mêmes responsabilités que les hommes.

Les femmes et l’histoire du Mali !

Selon Benchérif Diabaté, chef des griots de Bamako, et non moins membre fondateur du Réseau des communicateurs traditionnls (RECOTRAD), la société malienne au XIIIeme siècle est profondement différente de celle d’aujourd’hui bouleversée par sa rencontre avec l’extérieure (Europe, Asie et l’Amérique).

« Nos populations, qui ignoraient l’existence d’autres communautés européennes ou asiatques, avaient leur mode de vie, leur manière d’apprécier les choses qui n’étaient pas basée sur le nombre de femmes ou d’hommes dans un gouvernement ou une institution quelconque. La question était : pour une vie harmonieuse, une société paisible…quel rôle la femme ou l’home doit jouer, que doit faire les jeunes ? », nous a expliquéle traditionaliste.

C’est dans ce sens, selon le chef des griots, qu’on peut comprendre le sens de l’article 16 de la Charte de Kurukan- fuga : « Les femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes doivent être associées à tous nos gouvernement s». Pour comprendre encore tout le respect qu’avait la société envers la femme, il nous invite également à remonter à l’article 14 de la même charte qui stipule : « n’offensez jamais les femmes, nos mères ».

« La rencontre des civilisations, à travers la colonsation, a profondement bouleversé notre culture. Or, au 13e siècle, au moment de l’élaboration de la Charte de Kurukan Fuga, nos grands parents ignoraient tout ou presque, de l’existence de l’Europe et de sa culture. Ils ont donc élaboré leurs lois en fonction de leurs réalités. C’est pourquoi dans cette constitution, une véitable déclaration universelle des droits de l’homme, on voit que tous les aspects de la vie sont pris en compte : la protection de l’environnement, les personnes et leurs biens, la potection des plus faibles, l’administation… », explique M.Diabaté.

Selon Benchérif Diabaté, la femme et l’homme ont toujours cheminé ensemble pour dompter la nature et par ricochet, gouverné ensemble.

« Au 13e siècle au Mandé, la femme au sein de la famille se chargeait de veiller sur les biens de son mari, de la garde et l’éducation des enfants jusqu’à 10 ans. Il n’y a jamais eu un problème de marginalisation de la femme », a-t-il conclu.

Pour Fanta Diallo, professeur d’université, la société africaine n’était pas phalocrate au sens du terme. Pour la simple raison qu’autant que les hommes, les femmes ont marqué l’histoire de la civilisation malienne. Ainsi, dans l’histoire de Sikasso, on retrouve une amazone sans pareil, une héroïne dont le nom a traversé les âges grâce à ses nombreux exploits, la princesse Momo, fille du roi Mansa Daoula, fondateur du royaume du Kénédougou et sœur de Tièba et de Babemba Traoré, relate-t-elle.

De la même manière, poursuit-elle, on retrouve dans l’histoire, la Dame Singo Coulibaly qui combattait aux côté de son mari lors de la prise du village de Diena, dans le cercle Bla, par le colonisateur, le 24 février 1891.  Les louanges de Niélény à Ségou, continuent d’être chantées par les griots, dit-elle.

Les femmes dans la République !

Qu’est ce qui peut expliquer la domination actuelle des femmes par les hommes qui se manifeste par la faible représentativité de celles-ci dans les instances de prise de décision ?

Au gouvernement actuel de transition, par exemple nous avons 6 femmes sur 28 membres, soit 21% des femmes. Au Conseil National de la Transition, sur 121 membres, nous avons 31 femmes, soit 25% des femmes.

Ailleurs, selon un document de plaidoyer de l’ONG Wildaf, sur 545 magistrats, nous n’avons que 59 femmes et 486 hommes. Dans les Juridictions d’instances: Bamako ; 2 femmes présidentes (commune 2 et 3) sur 6 Ségou ; 1 femme présidente ; Koutiala : 1 femme présidente. On enregistre 0 femme procureurs de la République. A la Cour Suprême, le1er président est homme et le Procureur général est homme ; l’Avocat général, homme. De quoi à donner du grain à moudre au moulin des organisations de défense des droits des femmes.

Selon le Dr Bourama Lamine Coulibaly, professeur d’histoire et géographie, chargé de cours à l’Ecole normale supérieure de Bamako (ENSUP), l’homme et la femme ont toujours vécu dans une complicité et une complémentarité basées sur le respect mutuel dans notre société. Mais, l’idéologie d’infériorité ou de supériorité d’un genre par rapport à l’autre est fondée, selon lui, sur le mode de production de chaque période.  

« Dans la société traditionnelle par exemple, les travaux se faisaient avec des outils archaïques. Les instruments de travail exigeaient une très grande force physique pour leur manipulation. C’est ainsi que, les travaux durs ont été réservés aux hommes, et les travaux légers aux femmes et aux enfants. De cette infériorité reconnue chez les femmes, naîtra une infériorité sociale. La dislocation de la famille matriarcale au profit de la famille patriarcale, illustre la première défaite de la femme. Cette défaite, face à l’homme, engendre une série de représentations dont les hommes se serviront pour consolider leur domination. Les femmes se voient emprisonnées par une idéologie patriarcale fondée sur :  

  • La religion musulmane qui, dans la pratique au Mali, soutient l’infériorité, et la soumission sans condition de la femme à l’homme.
  • La morale sociale qui, au Mali ne conçoit pas la femme- homme, c’est-à-dire, celle qui aspire aux fonctions de l’homme, et à son comportement.
  • La structure familiale qui, donne à la femme une place de second plan dans l’administration, et dans l’organisation de la famille », nous a confié le Dr Coulibaly.

Le bouleversement de l’ordre social

Pour faire comprendre la complémentarité entre homme et femme dans la société traditionnelle malienne, Diango Cissé dans son ouvrage « Structure des Malinkés de Kita » précise que « le mariage n’est pas une vente ». Aussi,chez les bamanan, comme chez les malinkés, ni la terre, ni la femme ne peuvent appartenir à quelqu’un et ne sauraient avoir de prix.

Il faut dire que l’organisation sociale de la société traditionnelle au Mali, depuis l’empire du Mali procure à la femme « un rôle, formel ou informel, pour influencer les décisions concernant les politiques, priorités et ressources qui affectent leur vie, celle de leur famille et de leur communauté », souligne Bintou Sanankoua.

Dans femmes et démocratie au Mali, Bintou Sanankoua, reconnait aussi que l’ordre colonial a mis un terme aux méthodes endogènes de gestion et de transmission du pouvoir et modifie profondément les rapports homme/ femme dans notre société. Elle salue la longue tradition de lutte des femmes du Mali qui les place au cœur de tous les combats de la période coloniale à la démocratie et après. Selon elle, si les femmes étaient ‘’écoutées, consultées’’ dans la société traditionnelle, pendant la période coloniale, ‘’le départ massif, durable et souvent définitif des hommes sur les chantiers de la mort (travaux forcés), l’abandon des cultures vivrières au profit des cultures de rente propulsent les femmes sur le devant de la scène. Elles ne sont plus consultées et écoutées pour les décisions qui engagent leur communauté, parce que ces décisions sont prises hors de leur communauté et par d’autres. Le centre du pouvoir et de la décision change. Elles doivent s’adapter, donc se débrouiller », indique la doyenne ’écrivaine malienne.

Selon un adage courant de chez nous, « la nuit porte conseil ». En effet, quand les hommes se réunissent pour discuter d’une affaire villageoise, ils décident souvent de remettre la décision finale au lendemain, car “la nuit porte conseil”. De fait, cela veut dire que les hommes rentrent chez eux et s’entretiennent de la question avec leur épouse. Ce qui dénote toute la place de complémentarité entre l’homme et la femme dans notre société.

« Ce reportage est publié avec le soutien de JDH, Journalistes pour les Droits Humains et National Endowment for Democracy – NED«